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OrientXXI
Palestine. « Vol au-dessus d’un nid de checkpoints »
Article mis en ligne le 29 mai 2019

Le parkour, une pratique de résistance · La colonisation israélienne a profondément déstructuré le territoire palestinien, désormais discontinu et fragmenté, symbole de dépossession pour les Palestiniens et de toute-puissance pour les Israéliens. Les checkpoints, les contrôles volants, les colonies, le mur, les routes coloniales... régissent l’espace et la temporalité des vies palestiniennes. Mais le parkour, une pratique sportive qui consiste à franchir des obstacles urbains ou naturels vient bouleverser l’ordre de l’occupant.

À Kufr Akab, en périphérie sud de Ramallah, dans le bus en route pour la gare centrale de la capitale palestinienne, Hazim prend son mal en patience. Assis, las, la tête avachie contre la vitre, il attend que le bus bondé se fraie un chemin dans le bouchon gigantesque qui se forme quotidiennement autour du checkpoint de Qalandiya. Le jeune homme explique que « c’est tous les jours pareil, à force de passer des heures coincés dans les bouchons, on connaît par cœur la devanture de chaque boutique qui borde la route ».

Le checkpoint de Qalandiya est le plus grand et le plus fréquenté par les travailleurs de la région de Ramallah qui se rendent à Jérusalem. Pour Hazim, les checkpoints « sont les symboles mêmes de notre impuissance sur notre propre terre. On est obligés de se soumettre aux contrôles israéliens et de perdre chaque jour énormément de temps à cause de l’occupation ». (...)

En juin 1967, la guerre marqua un tournant. Ce furent les premiers germes d’un processus qui s’est par la suite accéléré puis pérennisé avec les accords d’Oslo. Cinquante ans plus tard, le régime militaire astreint chaque moment de la vie quotidienne des millions de Palestiniens. (...)

Pour se déplacer, les Palestiniens doivent affronter des centaines d’obstacles à leur circulation, des checkpoints, des barrages routiers ou encore des routes réservées aux seuls colons, outre les permis de circulation qu’ils doivent obtenir. Pour Scott A. Bollens
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, Israël emploie des techniques de domination spatiale qui morcellent, disloquent les quartiers occupés en détruisant des maisons, en s’emparant des voies de communication, ce qui réduit la mobilité de la population. Ils exproprient les Palestiniens de leurs terres sur la base d’un programme d’urbanisme usurpatoire. Ils leur imposent des restrictions de construction et démolissent de fait les bâtiments sans permis. L’administration militaire israélienne a mis en place pas moins de 101 types de permis pour brider la circulation des Palestiniens, développant ainsi une véritable bureaucratie militaire de l’occupation. Hazim conclut : « Nous sommes enfermés et notre vie est contrôlée et soumise à la volonté d’Israël sur notre propre terre. Chaque jour, Israël affirme dans nos têtes et dans nos cœurs que notre territoire ne nous appartient plus. » (...)

Une pratique vient casser les règles de circulation dans ce territoire palestinien morcelé et carcéral où les gardiens portent l’uniforme israélien. Cette pratique, c’est le parkour. Le parkour a émergé dans les années 1990. Il s’est fait davantage connaître au cours des années 2000. Il a été démocratisé notamment par le film Yamakasi. Les samouraïs des temps modernes, film français d’Ariel Zeitoun et Julien Seri sorti en 2001. Il consiste à utiliser son corps, à le mobiliser pour se déplacer dans un espace urbain selon les spécificités géographiques du territoire, en alliant vitesse, agilité et maîtrise de l’espace. Les adeptes du parkour redéfinissent les limites qui marquent leur espace. En les franchissant, ils génèrent un nouveau territoire, et surtout une manière de s’approprier les lieux.

Quand les touristes se pressent dans les rues de la vieille ville, ils peuvent apercevoir de jeunes Palestiniens réaliser des acrobaties sur les toits, avec le dôme du Rocher en arrière-plan. (...)

en pratiquant le parkour, les jeunes Palestiniens veulent redevenir maîtres de leurs déplacements et se réapproprier leur quartier, leur ville, le temps de leur session sportive. Sur l’esplanade des Mosquées, Mustapha s’assoit à nos côtés pour nous expliquer que « vivre à Jérusalem c’est être un oiseau en cage. » Le parkour lui permet de retrouver sa liberté. Pour lui, les Palestiniens ont fait du parkour un sport contestataire qui permet de combattre l’espace de domination mis en place par le gouvernement israélien et d’affirmer que les rues de Jérusalem-Est leur appartiennent malgré les restrictions de mouvement et la segmentation de la ville.

Sur l’esplanade des Mosquées, lieu sous haute tension où les incursions israéliennes sont régulières – le choix n’a rien d’anodin —, les jeunes s’entraînent et filment leurs entraînements, inscrivant leur présence et leur liberté de mouvement dans cet espace source de litige, affirmant par là que l’esplanade est leur lieu de vie (...)

Et la pratique ne se conjugue pas qu’à travers les entrainements. Certains ont également décidé de la mettre en images dans des vidéos sur YouTube ou Facebook. En combinant l’utilisation de la caméra et du Parkour, ces jeunes Palestiniens adressent au monde le message de leur refus de rester enfermés dans la cage qu’on leur destine. Plusieurs espaces géographiques clés de Jérusalem deviennent le théâtre de ce ballet sportif aux contours politiques. (...)

video : Gaza, parkour de guerre (43’)

En attendant de retrouver un jour une vraie liberté, le parkour offre à ces jeunes Palestiniens, le temps de l’envol du corps, quelques instants de répit, défiant ainsi avec la loi de la gravité celle de l’occupation.