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Entre les lignes, entre les mots
Palestine. Un village palestinien pittoresque sert de zone de tirs à l’armée israélienne
Gideon Levy
Article mis en ligne le 9 juillet 2017

Voici une petite histoire au sujet d’un petit village qui est unique sous le soleil de l’occupation. C’est l’histoire d’un village modèle, qui ressemble à un appartement modèle dans un nouveau projet de construction car il est trompeur et par moments même cauchemardesque.

Des voyageurs sur la route conduisant à Naplouse qui monte depuis le nord de la vallée du Jourdain et traverse les localités de Taysir et de Tubas se trouvent soudain confrontés à un mirage. Nous savons qu’il ne s’agit pas d’un rêve parce que nous avions visité Al-Aqba au printemps, il y a onze ans. Mais dans cette région où les communautés de bergers pauvres qu’Israël s’efforce d’expulser de cette terre, avec des remblais et terrassements dont le but est de les étouffer, à côté des colonies verdoyantes et des villes palestiniennes dont les résidents servent parfois de métayers aux colons – au milieu de tout cela donc on trouve un tout petit village où il y a quelques maisons qui ont l’air d’être fabriquées en massepain.

Les maisons d’Aqaba sont assez austères, même si certaines sont nouvelles, dont une peinte en violet, mais le centre du village et certaines de ses structures publiques semblent appartenir à un autre monde. Il y a des inscriptions murales colorées. L’une conseille d’économiser l’eau, une autre déclare en anglais : « Nous sommes tous à Jérusalem ». Il y a une place de jeu bien tenue entourée de pneus peints. Une petite usine de fromage et une manufacture de thé, sont toutes les deux gérées par une coopérative locale de femmes, même si des hommes y travaillent également. Leurs produits sont exportés au Koweït, en Arabie saoudite, au Venezuela et en Israël.

La tourelle caractéristique de la mosquée locale s’élève à 42 mètres, et à son sommet deux doigts semblent envoyer un signal de victoire défiant. Il y a une modeste pension de 35 lits, une sorte de Bed and Breakfast ou, d’après le dirigeant du conseil local, dont les bureaux se trouvent à côté, des Israéliens passent parfois la nuit. Au milieu de la rue principale du village, une rangée d’arbres offre une protection contre le trafic. Aqaba est également un des seuls villages en Cisjordanie dont les rues ont des noms et dont les maisons sont numérotées – un véritable mirage, en rupture avec le reste de l’environnement.

Depuis 20 ans, c’est le dirigeant légendaire du Conseil d’Aqaba, Sami Sadeq qui veille sur cette abondance. Il est en fauteuil roulant depuis qu’il a été blessé par balle, alors qu’il était enfant, par des soldats de l’armée israélienne qui s’entraînaient dans son village, ce qui lui donne une aura spéciale. (...)

Presque toutes les terres d’Aqaba ont été expropriées et transformées en zones de tirs pour l’armée israélienne – il ne reste presque rien pour les bergers et les agriculteurs du coin. Seules 300 personnes sont restées au village, les autres 400 sont parties suite aux appropriations de terrain. Mais ce qui contrarie le plus Sadeq est le fait que l’armée utilise le village pour ses exercices militaires de guerre. C’est peut-être à cause de sa tragédie personnelle, mais plus probablement parce que les troupes militaires n’ont aucune raison valable d’être dans ce lieu tranquille dont elles se servent pour l’entraînement. Quoi qu’il en soit, Sadeq reste déterminé. Le dirigeant du conseil local contre l’armée israélienne.

Il a gagné sa première victoire en 1999 lorsque le quartier général du Commandement central a publié un document interdisant aux soldats d’utiliser le village pour des exercices d’entraînement (...)

Après la publication des directives et l’évacuation du site d’entraînement, l’armée n’est plus entrée dans le village, et Aqaba a ainsi pu retrouver sa tranquillité. Mais cette tranquillité s’est arrêtée à la fin de l’année dernière. En effet, au cours de trois derniers mois de 2016, les troupes israéliennes ont recommencé à mener des exercices d’entraînement nocturnes dans le village. (...)

le 13 juin.

Ce jour-là, à onze heures du soir, des villageois désespérés ont appelé Sadeq parce qu’il y avait des soldats près des fenêtres de leurs maisons. Le dirigeant du conseil local est immédiatement parti de chez lui dans la nuit noire, en éclairant son chemin avec une lampe puissante et a conduit son fauteuil roulant au milieu des soldats et des jeeps. Il a tenté de parler à l’officier qui était aux commandes pour lui montrer les directives de 1999 et la lettre du Commandement central de février 2017, mais en vain. Trois jeeps et une cinquantaine de soldats ont envahi Aqaba. Ils ne sont pas entrés dans les maisons, renforçant l’idée qu’ils n’étaient venus que pour un entraînement. Ils n’ont pas tiré, mais ils se sont exercés à utiliser leurs armes. Ils sont partis du village à 3 heures du matin, et sont revenus le lendemain, encore plus nombreux. Une fois de plus ils ne sont pas entrés dans les maisons, et ils sont de nouveau restés dans le village presque toute la nuit. Une fois de plus les enfants d’Aqaba pleuraient de peur.

Nous avons posé deux questions à l’unité de porte-parole de l’armée :

1° Pourquoi les troupes de l’armée sont-elles entrées à Aqaba deux nuits de la semaine dernière ?

2° Quand les troupes de l’armée se sont-elles entraînées pour la dernière fois à Maskiot et Ro’i, deux colonies israéliennes proches d’Aqaba ?

Voici la réponse qui a été reçue : « Un examen préliminaire a révélé que l’exercice en question n’a pas été coordonné correctement. Par conséquent des conclusions appropriées seront tirées et les directives pour toutes les forces opérant dans le voisinage seront resserrées. Il y a eu des exercices d’entraînement dans la zone de tir adjacente à Aqaba depuis de nombreuses années, avec la coopération des résidents et conformément aux accords passés concernant l’étendue des exercices, subordonnés aux besoins de sécurité. Il faut noter qu’au cours des années le village s’est étendu de manière significative en violation à la loi, une réalité qui a entraîné des contraintes compliquées par rapport aux exercices de l’armée dans la zone.

Des représentants du Commandement central et de l’Administration civile maintiennent un dialogue continu avec des représentants des résidents. Plus tôt cette année, un tour de la zone a été organisé avec la participation de représentants des résidents et de leur avocat, dans le but de tenir compte de leurs besoins et de trouver un équilibre entre d’une part la construction non régulée dans la zone et d’autre part des besoins d’entraînement et de sécurité.

Il faut noter qu’au cours de la semaine passée, un avocat représentant les résidents a été en contact avec le Commandement central avec une série de plaintes relatives aux actions de l’armée, et on lui a répondu directement. L’armée israélienne continuera à opérer dans la zone tout en préservant le tissu de la vie civile des résidents de la Judée Samarie. »