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Le Monolecte
POL-ÉTHIQUE : L’ENNEMI PRINCIPAL
PAR AGNÈS MAILLARD
Article mis en ligne le 6 mai 2017

Le capitalisme est bâti sur un mensonge, celui de l’abondance. Faire un tour chez Disney permet de comprendre très précisément comment ce mythe fonctionne.

Ce que Disney et les parcs d’attractions construits sur le même modèle vendent, c’est l’idée d’un réservoir pratiquement infini d’amusements, de jeux, de sensations et de plaisir.
Ce que l’on obtient très concrètement dans ces paradis de la distraction, c’est la gestion industrielle d’un ennui incommensurable que nous refuserions dans toute autre circonstance.

Exactement comme Disney vend fort cher un ennui organisé et inacceptable en prétextant une profusion de distractions, le capitalisme vend hors de prix la pénurie organisée dans un monde d’abondance.

Chacun de nous fait régulièrement l’expérience d’aller pousser son charriot dans l’un des incontournables temples de la consommation, d’abord, parce qu’« on y trouve tout » et ensuite parce qu’il est de moins en moins possible de trouver des équivalences ailleurs. Et pourtant, chacun de nous, se promenant au milieu de l’abondance des produits, expérimente la privation, la frustration et la limitation en tous points. Parce que nos possibilités, elles, sont sévèrement rationnées par la laisse monétaire.

« L’ennemi principal des hommes, conclut-il, est aujourd’hui la dictature mondiale des oligarchies du capital financier globalisé et l’ordre absurde qu’elle impose à la planète, avec son cortège d’humiliés, d’affamés et de vies fracassées. »
Jean Ziegler, in « Tentative d’évasion (fiscale)« , Michel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot

Le monopole radical
L’autre jour, je regardais une émission américaine où le présentateur vedette brocardait la nouvelle mode chez ses très riches compatriotes : vouloir absolument s’embarquer pour Mars.

Il est vrai que découvrir un monde totalement nouveau peut reproduire l’excitation des pionniers qui ont fondé l’Amérique, de tous les découvreurs et voyageurs.
Sauf que, comme le fait remarquer astucieusement le show man, à quoi bon se taper deux ans de voyage pour aller dans un endroit où il n’y a absolument rien, alors qu’ici, nous avons déjà tout ? Par exemple, sur Mars, il n’y a ni air, ni eau, ni nourriture, c’est-à-dire rien de ce qui est indispensable à la vie.

Ce qui est précisément le point essentiel qui doit faire tilter tous les riches de la planète : absolument tout doit y être produit, ce qui signifie qu’absolument tout y est une marchandise. Il s’agit là du rêve ultime du monopole radical tel qu’Ivan Illich l’a patiemment décrit dans toute son œuvre.

Au stade avancé de la production de masse, une société produit sa propre destruction. La nature est dénaturée. L’homme déraciné, castré dans sa créativité, est verrouillé dans sa capsule individuelle.

Ivan Illich, La convivialité, 1973 (...)
(...)

Et rien ne peut être plus artificialisé qu’un vaisseau spatial ou une base martienne, puisque même l’air devra y être acheté !.

Ainsi, le capitalisme commence par nous vendre l’abondance pour tous. Mais comme son principe structurel est l’accumulation, il tend à ériger des barrages sur toutes les ressources, jusqu’au moment inévitable de l’apparition des despotes hydrauliques chers à la vision de Franck Herbert, c’est à dire de ceux qui détiennent en exclusivité la source d’un besoin qui ne peut plus être satisfait par soi-même, ce qui est la définition du monopole radical.

La condition du pauvre peut être améliorée si le riche consomme moins, tandis que celle du riche ne peut l’être qu’au prix de la spoliation mortelle du pauvre. Le riche prétend qu’en exploitant le pauvre il l’enrichit puisqu’en dernière instance il crée l’abondance pour tous. Les élites des pays pauvres répandent cette fable.
Ivan Illich, La convivialité, 1973
(...)

La création du manque

Comme le castor sur la rivière, le monopole radical fait barrage à l’usage de la ressource, assèche tous les effluents et construit une dépendance totale aux propriétaires du barrage.

L’excitation de la conquête de Mars est à voir comme le pendant de l’indifférence à l’écologie terrestre affichée par les détenteurs de capitaux massifs : leur seul concurrent est la nature et ce qu’elle prodigue sans distinction, sans sélection, sans valeur. Un monde artificialisé — que ce soit par l’absence constitutive d’un écosystème ou par la destruction programmée d’un biotope trop généreux — est la voie du pouvoir absolu de ceux qui contrôlent la technologie qui produit les ersatz vitaux. (...)

Depuis le berceau, la compétition est la règle incontournable. Nous sommes sélectionnés comme du bétail pour la foire de Paris et nous ne décidons de rien, surtout pas des critères de choix et donc des discriminations mises en place sans notre consentement.

L’esprit de compétition, c’est la fabrique industrielle des perdants, des exclus, des surnuméraires, de ceux qui ne méritent pas l’accès aux ressources nécessaires et vitales. Dans cette course à l’échalote, la solidarité est vaine, la fraternité est un obstacle. L’autre est un ennemi et plus on est exposé à cette rivalité, plus il convient de déshumaniser ses concurrents, de les essentialiser, de les mettre hors jeu de manière préalable.

Ceci est la fonction principale des discriminations. (...)

En créant de toutes pièces la pénurie institutionnalisée, le capitalisme radical construit les inégalités qui le renforcent. Il crée la nécessité impérieuse de discriminer les populations afin de trier toujours plus et toujours plus en amont ceux qui auront les privilèges de caste, de place, de possession et ceux qui en seront privés et devront intérioriser cette privation comme étant intégralement de leur fait, de par leur faible mérite ou par leur nature même.