L’île française d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, peine à lutter contre les conséquences du changement climatique. La perspective de déménager heurte les tribus du nord de l’île, dont le rapport à la terre est sacré.
Dans les années 1960, un roman à l’eau de rose japonais a qualifié Ouvéa d’« île la plus proche du paradis ». En la survolant à bord d’un avion d’Air loyauté en provenance de Lifou, l’île voisine, on peut le croire. Ouvéa est une île toute en longueur. Une plage de 25 km borde le lagon. Les couleurs sont éclatantes. Rendez-vous est pris dans le nord de l’île, dans le district de Saint-Joseph. C’est ici qu’il y a urgence.(...)
Tout commence par une rencontre avec le chef de tribu. À Ouvéa, chaque morceau de terre appartient à quelqu’un. Il n’y a pas de clôture, pas de terrain délimité, mais le visiteur doit montrer patte blanche. Un chef doit connaître le motif de votre visite. La chefferie, cette case immense entourée de poteaux de bois, qui sert pour les cérémonies, est vide. On s’arrête à l’épicerie, où on nous indique la case du porte-parole de la chefferie. Poeta Bagna est affable et accueillant. L’homme nous sert la « boisson nationale », un nescafé, en quantité. « Revenez le soir et on se mettra dans la case, on boira du vin toute la nuit ! » À 68 ans, il est porte-parole de la tribu Héo, et adjoint à la culture de la mairie d’Ouvéa. Il est indépendantiste, comme l’immense majorité des Kanaks qui peuplent l’île.
« Pour avoir de l’eau, maintenant, on est obligé de payer »
La route passe devant chez lui ; au-delà, c’est la mer. « Il y a 40 ans, des courses de chevaux étaient organisées sur la plage. Elle s’étendait sur plus de 50 mètres. Il y a des repères qui ne trompent pas. Avant, il y avait une avancée de terre sur la mer. Elle a complètement disparu. On voit désormais toute la côte, jusqu’au sud. Les tribus voisines, je ne les voyais pas. Ce sont ces petites choses-là qui montrent que ça s’est dégradé vite. » Poeta n’écarte pas les erreurs humaines. « Un ingénieur maritime est venu il y a quelques mois. Il nous a expliqué que plusieurs constructions, notamment des rampes pour les bateaux et un mur de remblais, bloquaient les courants marins. On a détruit ces constructions rapidement. » À certains endroits, le sable est revenu. Des mesures qui ne sont que du « sans regret ». C’est-à-dire que, quelle que soit l’évolution du climat, elles serviront toujours à retarder l’échéance. « J’ai retenu ce qu’il nous a dit : moi, je suis là pour vous conseiller mais je ne suis pas venu pour arrêter les eaux, ça ne fera que retarder la montée de la mer. Un jour, Ouvéa va disparaître. Ce ne sera pas pour notre génération, mais celle de nos enfants ou de nos petits-enfants », s’émeut le Kanak.(...)
Il n’y a pas que l’eau de mer qui menace Ouvéa. Le manque d’eau potable est une nouveauté. Les puits d’eau douce, naturellement présents sur l’île, se sont peu à peu asséchés ou ont été contaminés par de l’eau salée.(...)
Depuis dix ans, la mairie d’Ouvéa prend des mesures. En 2007, les bateaux de croisière, trop polluants, ont été interdits dans les eaux de l’île. La discussion a duré plusieurs années. La décision a été prise grâce aux témoignages des pêcheurs. Les fonds, après l’amarrage des paquebots, étaient très endommagés. Les compagnies, qui transportent principalement des touristes australiens, continuent à s’arrêter sur l’île voisine, Lifou. Une escale de quelques heures, et une manne pour les tribus locales. Mais Ouvéa tient bon.
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Une marche le long de la plage suffit pour se rendre compte de l’urgence de la situation. Ici, un arbre déraciné ; là, le bord de la route grignoté par la mer. Derrière nous, un petit cimetière et la certitude qu’un jour, il sera sous l’eau. Toujours le même constat : il y a dix ans, la plage s’étendait encore sur plusieurs mètres de large. Avant, c’était des dizaines de mètres. Un terrain de foot entier tenait sur le sable.(...)
L’alerte est donnée régulièrement, mais, dans ce bout de Pacifique, le sentiment d’être inaudible domine. En partie aussi parce que, comme Ouvéa est française, c’est Paris qui est invité à parler des conséquences du réchauffement climatique sur la scène internationale. Albert Ouaeignepe envie les Fidji ou le Vanuatu, invités régulièrement à témoigner. Une ONG tente de changer cette impuissance. Basé en Australie et en Nouvelle-Zélande, 350.org récolte les témoignages des populations menacées par le réchauffement climatique dans le Pacifique. Ses membres se nomment eux-mêmes les « guerriers climatiques du Pacifique ». (...)
la Nouvelle-Calédonie est bouffée par l’industrie minière, alors personne n’ose se battre. Les trois usines de nickel fonctionnent au charbon, et polluent autant qu’elles peuvent. Dans la région de Houaïlou, sur la côte est de la Grande Terre, il y a eu un affaissement à cause du nickel qui est ramassé en surface. La montagne s’est affaissée sur une tribu. »(...)
L’objectif des militants de 350.org est d’humaniser le changement climatique, le rendre moins technique. (...)