Arrivée en France en 2018, la pédiatre Inès M. a enchaîné les postes dans un hôpital du Val-d’Oise, notamment pendant la crise du Covid-19. Mais en novembre dernier, son titre de séjour n’a pas été renouvelé et la préfecture lui a notifié une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Pour InfoMigrants, elle raconte son incompréhension et sa honte face à cette décision administrative.
(...) Elle s’est adjugée les services d’un avocat pour contester cette décision qu’elle considère comme injuste.
Depuis le 27 février, Inès n’a plus de papiers à présenter en cas de contrôle de police. "Quand je me déplace, j’ai peur alors que je n’ai rien fait de mal, raconte en pleurs la médecin. Je ne vais plus dans les centres commerciaux. Quand je vais au travail, je fais un détour, et à l’hôpital j’ai honte vis-à-vis de mes collègues. J’y pense tout le temps, ça m’empêche de dormir."
"Pour moi, l’OQTF ne tient pas"
Pour son avocat, Me Alexis Tordo, la décision de la préfecture tient de l’aberration. Arrivée en mai 2018 en France après avoir réalisé son doctorat de médecine à Sousse, en Tunisie, Inès M. a multiplié les postes de stagiaire associée à l’hôpital, payés 1 400 euros/mois, en vu d’obtenir une reconnaissance de son diplôme. "Je suis arrivée pour faire un stage en pédiatrie. Je voulais engranger de l’expérience, et je ne vous cache pas que l’instabilité politique en Tunisie et les contraintes économiques m’ont poussée à rester en France", explique-t-elle dans un français parfait. Elle bénéficiait même d’une promesse d’embauche en rhumatologie, qui était conditionnée au renouvellement de son titre de séjour, un projet qui est depuis tombé à l’eau.
En novembre 2022, Inès M. s’est également mariée avec son compagnon, un ingénieur en mécanique titulaire d’un titre de séjour de 10 ans, ce qui la rend éligible à la carte de séjour "vie privée et familiale". Un élément que la préfecture semble avoir ignoré : "Pour moi, l’OQTF ne tient pas, tranche Me Tordo. (...)
En première ligne pendant le Covid-19
Pour les quelque milliers de médecins étrangers dits praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE) comme Inès M., qui travaillent en France, obtenir une reconnaissance de diplôme et une autorisation d’exercer relève du parcours du combattant. (...)
Pour la plupart des PADHUE qui ont déjà terminé leurs longues études, il faut donc encore des années avant de terminer ce processus de reconnaissance. D’autant que le Covid-19 a tout retardé. Pendant deux ans, les médecins étrangers ont comblé les postes vacants dans les hôpitaux français (...)
En instaurant l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement a permis aux hôpitaux de prolonger la durée de contrat des stagiaires associés (initialement limitée à 2 ans). La médecin se souvient d’une période particulièrement éprouvante : "On faisait 8 à 10 gardes par mois. On voyait des jeunes de 30 ans mourir tous les jours, on ne pouvait plus sortir. Je n’ai pas vu mes parents pendant 2 ans !"
Des médecins étrangers menacés d’expulsion
En août 2020, le ministère de la Santé avait voté un décret, dit loi Stock, censé régulariser les médecins étrangers. Ce décret impose d’avoir travaillé dans un hôpital français pendant deux ans entre janvier 2015 et juin 2021, mais aussi d’avoir effectué au moins une journée d’exercice entre le 1er octobre 2018 et le 30 juin 2019 (détail qui exclut de fait les nombreux médecins étrangers venus en renfort pendant la crise sanitaire). Près de 4 500 dossiers, dont celui d’Inès M. ont été déposés, mais trois ans plus tard, force est de constater que les promesses n’ont pas toutes été tenues. (...)
"Je suis déçue et en colère"
Le 31 mai 2022, le président Emmanuel Macron a chargé son ministre de la Santé François Braun d’une mission "flash" pour sauver les services d’urgence surchargés des hôpitaux français. Dans son rapport publié en juin, le ministre s’était inquiété du sort des 4 000 PADHUE qui devrait "quitter le pays si leur dossier n’est pas rapidement traité" alors qu’ils sont "pourtant essentiels au fonctionnement des hôpitaux". Il avait donc appelé les autorités à "simplifier et accélérer la procédure" ainsi qu’à "déroger à la date butoir pour maintenir ces professionnels en poste".
Déjà retardée à deux reprises, la procédure Stock doit officiellement prendre fin ce 30 avril. Mais Inès M. n’y croit plus (...)
Selon son avocat, Me Tordo, le tribunal administratif devrait rendre une décision sur la situation d’Inès M. d’ici deux mois.