
Le romancier marocain Fouad Laroui, très lu en France et au Maroc, prix Goncourt de la nouvelle pour « L’Etrange affaire du pantalon de Dassoukine » (éd. Julliard, 2012), s’est déjà insurgé contre l’intégrisme musulman. Installé à Amsterdam depuis 1989, il va rééditer cette année son essai « De l’islamisme, une réfutation personnelle du totalitarisme religieux » (éd. Robert Laffont, 2011).
Il était à Paris quand les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher ont eu lieu, début janvier. Entretien.
(...) Si on reçoit au journal télévisé le sportif suisse Roger Federer parce qu’il a gagné un match de tennis, on ne le voit jamais comme protestant ! Tout le monde se fiche de sa religion : c’est l’un des acquis de la Révolution française et des années 60. Nous nous sommes émancipés de ces déterminismes, ce n’est pas pour les réintroduire quand il s’agit des musulmans
Sur une carte d’identité française, la religion n’est pas mentionnée. Et heureusement ! Les religions, ce sont des nébuleuses, pas des objets précis et bien définis. A chaque fois qu’on en parle, on parle de choses très vagues que personne ne connaît véritablement. Qu’est-ce, exactement, que « Dieu » ? Alors se définir par rapport à une religion, c’est vague sur vague, comme on dit « ton sur ton ».
Des jeunes musulmans projettent-ils leur identité sur des textes qu’ils ne connaissent pas ?
Absolument ! Quand je rencontre des catholiques, je leur demande ce qu’est l’Immaculée Conception. Neuf fois sur dix, ils se trompent ! Ils croient que c’est la naissance du Christ d’une mère vierge... Cela fait pourtant partie des dogmes de l’Eglise catholique. C’est amusant ! On se dit catholique ou musulman, mais en fait, on sait à peine de quoi on parle.
La plupart des jeunes issus de la deuxième génération d’immigrants ne connaissent que quelques mots d’arabe et ne savent pas situer l’islam dans l’Histoire, le contextualiser. Avec mes étudiants à Amsterdam, je discute après mes cours d’épistémologie. Je demande à ceux qui se disent musulmans : « Quel est votre livre sacré ? » Ils répondent le Coran, évidemment. Or les livres sacrés de l’islam sont l’Ancien Testament, le Nouveau Testament, les Psaumes de David, des textes perdus d’Abraham, et le Coran. Il faut intégrer tout l’apport juif et tout l’apport chrétien pour être vraiment musulman ! Mes étudiants sont bien étonnés de l’apprendre.
Nous sommes devant une énorme confusion sur ces problèmes d’identité, qui ont alors tendance à se manifester de façon violente. Nous, nous ne devons pas rentrer dans ce jeu d’identités imaginaires, mais répéter constamment le credo du modèle républicain français.
Nous, c’est qui ?
Nous, ceux qui veulent sauver ce qui peut l’être en Europe, cette Europe qui a quand même montré la voie dans l’émancipation de l’individu. Je suis d’autant plus à l’aise pour le dire que l’Europe a repris en partie ce qui a été pensé à Bagdad ou à Cordoue plusieurs siècles auparavant, par Averroès notamment. L’Europe de la Renaissance, des Lumières, de la Révolution française et du mouvement d’émancipation des années 60 porte un héritage précieux qu’il faut préserver.
L’alternative, c’est quoi ? Eh bien, c’est perdre la liberté de conscience, la liberté de penser, c’est-à-dire ce qui fait de nous des êtres humains à part entière. Il ne tient qu’à l’individu de sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui, comme disait Kant, et de rejeter tous les dogmes qu’on lui assène pour se mettre à réfléchir par lui-même. (...)