
Selon un préjugé répandu, et entretenu par l’industrie agroalimentaire, les personnes obèses, incapables de contrôler leurs désirs, seraient responsables de leur condition. Ce discours occulte les causes d’un phénomène en voie de mondialisation. Tirer le fil de l’obésité, c’est débobiner toute la pelote du mode de vie des sociétés dites avancées.
(...) Le marché s’est mis au diapason de cette nouvelle morphologie. Entre les entreprises qui tentent de s’adapter au phénomène et proposent des produits spécialement destinés aux personnes corpulentes — fauteuils plus grands pour les stades et les théâtres, brancards à armature renforcée, matelas king size, sites de rencontres pour célibataires enrobés, etc. — et celles qui prétendent fournir des solutions pour l’endiguer — pilules pour fondre à vue d’œil, camp d’amaigrissement à la discipline militaire (fat camp), opération chirurgicale à 10 000 dollars, etc. —, les profits engrangés sont estimés à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Les livres consacrés à l’obésité, des recettes miraculeuses aux analyses du phénomène, s’écoulent si bien que le New York Times leur consacre une rubrique distincte dans son classement des meilleures ventes. Les causes de la prise de poids généralisée des Etats-Unis sont pourtant bien connues : le mode de vie des Américains qui, depuis trente ans, consomment plus de calories et en éliminent moins.
Fondé sur le culte de la consommation et du progrès technique, l’American way of life favorise l’inactivité physique. (...)
Débarrassés de certaines tâches domestiques, les Américains auraient pu se consacrer à des activités distractives qui permettent de se dépenser. Mais le temps gagné ces dernières décennies est, pour l’essentiel, passé assis devant un écran ou derrière un volant.
Le modèle urbain dominant encourage un usage toujours plus intensif de la voiture. Dans les années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, en réponse à la hausse du prix des logements dans les centres-villes, les citadins ont opéré un déplacement massif vers la périphérie. Se sont alors développées des banlieues tentaculaires, enfilade de pavillons à perte de vue et cauchemar pour les marcheurs, avec leurs trottoirs épisodiques (et parfois inexistants), leurs passages pour piétons mal indiqués, leurs paysages monotones. En l’absence d’un réseau de transports publics digne de ce nom — sauf dans les très grandes villes —, les distances toujours plus longues ont rendu la voiture nécessaire pour la plupart des déplacements quotidiens.
Depuis les années 1960, le nombre de personnes obligées de sortir de leur comté de résidence pour aller travailler a ainsi été multiplié par trois, et les distances parcourues annuellement en voiture par trois et demi (3). Chaque semaine, un Américain passe plus de dix heures dans son automobile. Un temps totalement immobile qui favorise la prise de poids (...)