
Quatre ans après le désastre de Fukushima et malgré l’hostilité de la population, le gouvernement japonais a décidé de redémarrer la centrale de Sendai. Chiffres à l’appui, l’économiste Thierry Ribault nous explique pourquoi les arguments avancés en faveur du nucléaire par l’administration Abe sont discutables.
Avec le redémarrage, le 11 août 2015, du réacteur n° 1 de la centrale nucléaire de Sendai, dans le département de Kagoshima situé au sud-ouest du Japon, l’administration Abe vient de remporter une bataille dans la guerre feutrée qui oppose les partisans et les opposants à l’énergie nucléaire, mobilisant un outil classique de la vie politique : le chantage.
– Un chantage au déficit commercial tout d’abord.
– Un chantage au changement climatique ensuite.
– Un chantage enfin à l’explosion du prix et du coût de l’électricité non nucléaire. (...)
si les chocs pétroliers ont eu tendance à ralentir conjoncturellement les émissions de CO2 dans les pays dont la production est intensive en énergie, le choc nucléaire a, de son côté, permis de maintenir structurellement ces émissions à un niveau qui, en valeur absolue, n’a fait que s’accroître au Japon, comme il n’a jamais véritablement baissé en France, en dépit des promesses faites de part et d’autre quant aux vertus du nucléaire dans un monde menacé par le réchauffement climatique. (...)
Sur la période récente, en dépit d’une hausse significative du recours à l’énergie d’origine fossile, le montant total des émissions de CO2 après la catastrophe de Fukushima n’a pas augmenté dans les proportions escomptées par les experts… et les ardents thuriféraires du nucléaire : les économies d’énergie réalisées, qui ont permis de compenser 28 % de la chute de la production électronucléaire entre avril 2011 et mars 2014, et le recours accru aux énergies renouvelables sont les deux principaux facteurs qui expliquent cette évolution. (...)
La catastrophe de Fukushima n’a donc pas précipité le Japon dans une soudaine et inexorable croissance de ses émissions de dioxyde de carbone, mais est venue conforter une tendance à la hausse, antérieure au désastre, datant de la période de « reprise » ayant suivi la crise de 2008. (...)
Entre 2009 et 2014, les prix de l’électricité pour les particuliers et les industriels japonais ont crû de respectivement 24,4 % et 35,6 %, ce qui a été présenté par les pouvoirs publics comme une seconde catastrophe nationale, après celle du 11 mars 2011 (voir tableau 1, sources : Meti, Eurostat 23). Or, encore une fois, attribuer ces hausses à l’arrêt de la production d’électricité d’origine nucléaire, c’est d’une part faire fi du passé, notamment des niveaux de prix du début des années 1990 équivalents aux niveaux actuels pourtant considérés comme des « records ». Mais c’est surtout corréler de manière hasardeuse l’augmentation du prix de l’électricité à l’arrêt du nucléaire, alors même que, comme le montre la comparaison avec la France, où la part du nucléaire se situe entre 75 et 77 % de la production d’électricité, un pays qui donne la priorité à sa production nucléaire n’est pas plus à l’abri d’une forte hausse des prix de son électricité, puisque ces derniers ont connu entre 2009 et 2014 une croissance plus importante qu’au Japon : 44,6 % pour les ménages et 40 % pour les industriels. (...)
Les coûts induits par un accident nucléaire ont été fortement revus à la baisse par les experts gouvernementaux afin de prendre en compte l’instauration de normes de sécurité beaucoup plus strictes et plus fiables qu’avant la catastrophe de Fukushima : ainsi, dans leurs calculs, les autorités ont, désormais et de manière totalement arbitraire, divisé par deux la probabilité qu’un accident majeur survienne. (...)
Au Japon comme ailleurs, à trop vouloir présenter l’électricité d’origine nucléaire comme le couteau suisse de toute bonne politique énergétique qui se respecte – anti-émissions de CO2 et anti-réchauffement climatique, anti-envolée des prix et des coûts de l’électricité, anti-déséquilibre de la balance commerciale et anti-dépendance énergétique –, les planificateurs refusent d’adapter la réalité à la vérité, choisissant délibérément de façonner la seconde à l’image de la première, présentée comme immuable.