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Mediapart
Nucléaire : la sécurité percée d’EDF
Article mis en ligne le 7 décembre 2020

(...) Ce sont des documents plus que sensibles, susceptibles de mettre en péril les dizaines de milliers de personnes qui vivent aux alentours du site nucléaire de Flamanville. Ces fichiers ne sont en théorie consultables que par certains professionnels, sélectionnés pour leur sérieux, validés par la préfecture et habilités par EDF. Pourtant, ils nous sont parvenus, en très grand nombre, via Greenpeace, à l’initiative d’une personne qui fait ainsi savoir au grand public que les procédures censées garantir la confidentialité des secrets de la sécurité nucléaire ne sont, en réalité, pas respectées.

(...) Plans précis au mètre près du site où se côtoient les trois réacteurs nucléaires, schémas des clôtures électriques et des alarmes qui y sont reliées, positions exactes des caméras et des détecteurs anti-intrusion, vues des caméras et détails de leurs angles morts, plan des sas d’accès sécurisé et des détecteurs d’explosifs, fonctionnement des portillons : c’est une grande partie du système de sécurité de la zone d’accès contrôlée (ZAC) du chantier le plus important, le plus coûteux et le plus stratégique du système nucléaire français que nous avons pu consulter. (...)

Ces documents nous ont été montrés par Greenpeace afin d’alerter le grand public sur la faille de sécurité révélée par le seul fait que ces dossiers lui soient parvenus. L’ONG a été destinataire de ces fichiers informatisés car ils circulent au sein d’entreprises prestataires, embauchées à un moment ou à un autre sur le chantier de l’EPR. Alors qu’ils sont couverts par différents régimes de secret et de confidentialité, des documents relatifs au chantier de sécurité du site nucléaire de Flamanville circulent par courriel, traînent sur des ordinateurs personnels, passent par des clefs USB. « Greenpeace reçoit régulièrement des envois, par courrier ou autres, mais jamais on n’avait vu ce type de contenus, décrit Jean-François Julliard, directeur général de l’ONG. C’est très inquiétant. Ce sont des docs importants. Ils révèlent une faille préoccupante de la sécurité nucléaire. »

L’association a décidé de prévenir Mediapart et de lui donner accès aux fichiers en assumant un rôle de lanceuse d’alerte. (...)

Mediapart ne publiera pas les notes, fiches d’évaluation, bilans techniques, courriers, photos, codes d’accès, etc., que nous avons vus. Le contenu de ces informations n’est pas d’intérêt public. Le fait de les obtenir dans ces conditions est, lui, d’intérêt général.

Informé de l’ampleur de la fuite, EDF, exploitant de 56 réacteurs nucléaires en France, en minimise la portée. (...)

Interrogé au début de cette enquête sur quel type d’information est classé secret défense, le haut fonctionnaire de défense adjoint, chef du service du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (SHFDS) au ministère de l’écologie, Mario Pain, répond que « sont classifiées les informations concernant les systèmes de sécurité des installations nucléaires (systèmes de détection des intrusions, systèmes de surveillance, procédures de sécurité), les plans des locaux sensibles… ». Pourquoi ? « Il s’agit de toutes les informations permettant la préparation d’un acte malveillant », précise-t-il. Quelles informations doivent rester confidentielles ? « Du point de vue de la sécurité, celles qui donnent un avantage à un agresseur éventuel », ajoute le représentant du HFDS. (...)

Reporting, planning de travaux, coordination d’interventions, synthèse des chantiers précédents : les échanges par courriel sont incessants entre le commanditaire et ses sous-traitants, ainsi qu’entre les sous-traitants eux-mêmes, dont certains jouent un rôle de coordinateur. Des documents circulent dans leurs boîtes mails, souvent classés « diffusion restreinte protection site » ou « confidentiel ». (...)

Les accès au box sécurisé dysfonctionnent parfois. (...)

Bout par bout, des pans entiers du système de sécurité de Flamanville s’éparpillent. (...)

En dehors des échanges de mails, des milliers de pages de documents sont parvenues à Greenpeace. (...)

« Les dossiers ne sont pas censés sortir du chantier, ils restent sur des serveurs sécurisés et sont accessibles uniquement aux personnes autorisées », explique un prestataire joint par Mediapart. C’est ce qu’explique un chef de section électricité dans un mail à des collègues : « Ce n’est pas prévu » de pouvoir se connecter au serveur sécurisé lorsqu’on se trouve en dehors d’un site EDF, domicile ou lieu public. Le bénéficiaire de l’accès « doit se connecter depuis le site » de Flamanville.

L’accès à la base de données ne peut se faire que grâce à un code délivré par une application spécifique sur un téléphone portable. « C’est effectivement très contraignant, reconnaît-il, mais je n’ ai pas eu le choix des modalités d’accès à cette nouvelle base sécurisée ».

« On a tous rempli des certificats, des engagements de confidentialité », précise à Mediapart l’un des prestataires joints pour cet article, ainsi que tous les autres professionnels contactés. Ces règles de confidentialité interdisent d’enregistrer les dossiers sur son ordinateur, ajoute ce sous-traitant. « Les envois de mails étaient cryptés par un mot de passe », décrit un technicien. Les documents de travail étaient « boxés », conservés sur un serveur sur lequel chacun·e pouvait les consulter en fonction de son habilitation et de ses tâches. (...)

. À l’évidence, ces précautions n’ont pas suffi à empêcher la mise en circulation de ces dossiers.

Il n’y a aucun tampon « secret défense » dans les documents lus par Mediapart. Ils sont estampillés « confidentiel protection », « diffusion restreinte protection site » ou « confidentiel », parfois à l’encre rouge. Ce sont des appellations « internes mises à l’initiative des différents rédacteurs de ces documents », explique EDF, qui « visent simplement à spécifier qu’ils sont réservés de base aux personnels en charge de la sécurité » des centrales. (...)

Interrogée sur son application des engagements sécuritaires concernant les informations du chantier, une entreprise répond : « Les dispositions concernées par vos questions étant couvertes par des clauses de confidentialité, il nous est impossible de vous répondre. » Les autres sociétés sollicitées n’ont pas donné suite.