
« Le nucléaire devient une abstraction. Comment garantir la sécurité d’une abstraction ? », s’interrogeait en 2006 le journaliste Jean-Philippe Desbordes, auteur du livre Atomik Park. Fruit de 13 ans d’enquête, l’ouvrage décrit l’impact sanitaire, des vétérans des essais nucléaires français et états-uniens aux ouvriers du nucléaire d’EDF, en passant, bien sûr, par les « liquidateurs » de Tchernobyl. Dans cet entretien, initialement publié en 2006, l’auteur analyse comment nous avons donné les moyens à la « machine nucléaire » de diriger le sens de la vie.
Basta ! : Comment avez-vous réagi au rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur le bilan de la catastrophe de Tchernobyl, qui, en septembre 2005, chiffre le nombre de morts à 39 ?
Jean-Philippe Desbordes : Les résultats étaient connus d’avance car l’AIEA, chargée d’évaluer l’impact sanitaire d’une catastrophe qui était pensée comme impossible, a classé au secret une annexe du rapport soviétique de l’époque, l’annexe n°7.(...)
L’Occident a donc été moins transparent que l’Union soviétique ?
L’AIEA a été créée pour permettre le développement de l’industrie nucléaire civile et en garantir le bon fonctionnement. Il n’était donc pas concevable que l’agence joue un autre jeu que celui-là. Les Soviétiques étant eux-mêmes les premières victimes, ils ne pouvaient pas mentir à leurs propres parents. De nombreux débats ont eu lieu au sein des familles soviétiques pour savoir pourquoi le père, perçu comme un héros, était en train de mourir après trois semaines d’intervention sur le réacteur.(...)
L’impact sanitaire est l’enjeu pour toutes leurs stratégies de communication. Accéder à l’information sur cette question suppose que des gens à l’intérieur de l’entreprise fasse le jeu de la transparence réelle. Cette transparence consiste à instruire à charge un état de fait qui semble aller de soi : le nucléaire est très propre. Ce n’est pas le cas. Quand on regarde dans l’arrière-boutique - encore faut-il qu’on vous y laisse entrer -, il y a des tas de cadavres au fond des placards. Mon but est de faire sortir sur la place publique, hors des grillages d’Atomic Park, des éléments en relation à la question centrale : qu’est ce que l’homme fait à l’homme ? (...)