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Nucléaire : La grande foire au n’importe quoi
#nucleaire
Article mis en ligne le 28 décembre 2022
dernière modification le 27 décembre 2022

Débat public autour du nouveau nucléaire, commission d’enquête à l’Assemblée nationale, examen d’un projet de loi au Sénat… L’actualité sur l’industrie nucléaire est riche. Mais elle tient plus du règlement de comptes que d’un débat constructif s’appuyant sur la réalité.

Pour l’observateur qui suit l’actualité du nucléaire, la période est dense. Comme jamais. Entre les réunions organisées par la Commission particulière du débat public (sur le nouveau nucléaire et la première paire d’ERP 2, un modèle simplifié de celui de Flamanville) à Penly (Seine-Maritime), les auditions de la commission d’enquête à l’Assemblée nationale (visant à établir les causes de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France) et celles tenues par le Sénat (dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à « l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes »), jamais une telle masse d’informations n’avait été portée sur la place publique en France. Cette fois, le débat public que les opposants au nucléaire réclament depuis tant d’années (de décennies) a enfin lieu. (...)

Débat exutoire

A priori, c’est une bonne nouvelle, sur un sujet éminemment structurant pour le pays. Mais à l’arrivée, quelle déception ! En effet, malgré les dizaines d’heures de débats et d’auditions, un élément manque au citoyen pour lui permettre de se faire sa propre opinion : la réalité, telle qu’elle est et non telle qu’elle est fantasmée, par les pro comme par les anti-nucléaires.

Ce déphasage aura été particulièrement flagrant lors des réunions publiques consacrées au nouveau nucléaire, pourtant sans enjeu autre que celui d’une réflexion partagée. Ce débat public n’a été organisé que pour des commodités administratives (Electricité de France a besoin de ses conclusions pour déposer son dossier de création d’une installation nucléaire et un permis de construire), non pour savoir s’il fallait ou non reconstruire un nouveau parc nucléaire.

Pour preuve, personne n’a pour le moment interrogé la capacité financière, technique et humaine de l’entreprise à assumer la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires.

La presse - à Blast et à Libération - a pourtant fait le boulot et tiré la sornette d’alarme en démontrant que ce programme était largement infaisable. (...)

Engagés sur ces mauvaises bases, tous ces débats ressemblent plus à un vaste règlement de comptes partisan qu’à un examen réaliste et approfondi - et nécessaire - de la politique énergétique française, notamment en matière d’électricité. Ce qui se joue actuellement au sein de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale est sur ce point symptomatique.

Plusieurs de ses auditions ont fait le miel médiatique des pro comme des anti-nucléaires, tant les propos tenus par tel ou tel (comme l’ancien haut-commissaire à l’énergie atomique Yves Bréchet ou l’ex-PDG d’EDF Henri Proglio) ont paru explosifs. Par le nombre et la qualité supposée des personnalités auditionnées, on pouvait espérer de cette commission qu’elle fasse œuvre utile en produisant le socle d’un renouvellement à la fois de la stratégie publique en matière d’électricité et de la gestion des entreprises publiques, à commencer par celle d’EDF. Il n’en est rien. (...)

La règle du jeu, non dite mais tronquée, consistant à régler des comptes politiques et accessoirement démontrer que seul le nucléaire peut nous sauver du naufrage, la plupart des auditions se révèlent d’une très grande pauvreté. Pire, les auditionnés ont toute liberté pour raconter n’importe quoi du moment que cela convient au président, sans que personne ne les place face à leurs contradictions. Un exemple ? Henri Proglio a ainsi réussi à dire tout et son contraire sur l’EPR : jugé infaisable quand il s’agit de le construire à Flamanville, l’ex-PDG a expliqué sans souci de la cohérence avoir pris la décision d’en construire deux exemplaires en Grande-Bretagne... Et personne ne lui a demandé pour quelles raisons ce qui était infaisable en France ne l’était plus de l’autre côté de La Manche. (...)

Même si certains refusent de la voir, la réalité est là. Toute crue : c’est la gestion du groupe public, et non l’Europe, l’Allemagne ou les gouvernements qui se sont succédé en France depuis 2010 (depuis Nicolas Sarkozy), qui est seule responsable de ses difficultés. Rappelons également pour aller au bout des choses que Les Républicains, sous leurs appellations successives, et le Parti Socialiste, qui se sont partagés les rênes du pouvoir de 1986 à aujourd’hui (Macron ayant fait la synthèse entre les deux), ont toujours été en accord avec les décisions européennes de déréglementation du marché de l’électricité. Dont le seul effet positif a été de multiplier les interconnexions entre la France et ses voisins, ce qui nous permet aujourd’hui... d’échapper aux coupures d’électricité.

En France, personne ne veut donc endosser la responsabilité de cette stratégie européenne et de ses conséquences négatives : le démantèlement du service public, la création d’une fausse concurrence et une volatilité absurde des prix de l’électricité, capés sur ceux du marché du gaz. Si ces conséquences en série ont aggravé la crise d’Electricité de France, elles n’en sont certainement pas l’élément déclencheur. (...)

Tant que personne ne voudra affronter ces réalités - et le complexe nucléaire est depuis trop longtemps dans le déni -, la crise électrique ne trouvera pas d’issue en France. Et il faudra, chaque hiver, craindre le black-out.