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Libération
Nous ne serons plus jamais les bonnes petites soldates de vos guerres
Article mis en ligne le 9 mai 2020

Tribune. « Nous sommes en guerre » ? Messieurs, cette guerre vous l’avez décidée entre vous – cols blancs et costumes noirs –, bien planqués dans les ministères et dans les hautes sphères où aucune femme ne vient jamais vous déranger. Votre guerre, nous et nos sœurs l’avons menée en première ligne : infirmières, aides-soignantes, assistantes maternelles, aides à domicile, agentes d’entretien, caissières, vendeuses, ouvrières du textile, enseignantes, secrétaires, employées administratives du public et du privé…

Vous jouez avec le terme de « guerre » pour cacher votre incompétence. Un mot déplacé et viril, impliquant d’aller au corps-à-corps avec la maladie. Celles qui vont se battre chaque jour contre cette contagion, c’est bien nous, les femmes. Nous qui avons maintenu le pays à flot et sauvé des vies, sans nous défiler, sans compter nos heures et souvent sans protection alors que le Covid-19 n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle. Pour des salaires de misère et dans une situation très souvent précaire. Vous, sur vos estrades et derrière vos pupitres, vous ne risquez rien. (...)

Messieurs, chaque jour, nous sommes allées travailler la boule au ventre, nous avons côtoyé la mort de près, nous avons risqué notre santé et celle de nos proches. (...)

Pour pallier l’impréparation de l’Etat, nous avons fabriqué des masques. Nous avons désinfecté vos bureaux et gardé vos enfants. Au foyer, nous avons accumulé les charges mentales, assuré la continuité pédagogique, le bien-être de la famille et les tâches ménagères. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la journaliste Séverine écrivait « les femmes ont été des domestiques de la guerre », cette phrase retentit encore aujourd’hui. (...)

Messieurs, vous nous parlez de votre « monde d’après » mais il ressemble étrangement au monde d’avant. Des unes des journaux aux plateaux télé en passant par les articles, vous nous contez les leçons de la crise, entre vous, sans nous, comme avant. Dans toute la presse, seule 19% de la parole experte est le fruit de femmes. Vous profitez de l’épidémie pour nous invisibiliser davantage, pour nous renvoyer au second rang, suffisamment attentionnées pour prendre soin de vous, mais en incapacité de prendre la parole pour analyser la situation.

Ce que vous oubliez de voir, c’est que cette crise a révélé aux yeux de tou·te·s l’injustice criante dans laquelle nous vivons. Elle a rendu encore plus inacceptable la fracture de genre qui régit notre société : précarisation des métiers du lien, essentiellement féminins et indispensables, exacerbation des inégalités, accentuation de la fragilité des familles monoparentales, augmentation catastrophique des violences faites aux femmes dans la sphère privée comme dans la rue, difficultés encore plus grandes pour accéder à la santé reproductive…
Droits et reconnaissance

Nous sommes devenues visibles et nous ne voulons pas retomber dans l’oubli. Nous fêtons aujourd’hui le 8 mai, nous rappelant que trop de guerres sont passées, nous ont utilisées pour permettre à l’économie de fonctionner, au monde d’avancer, puis nous ont renvoyées au mutisme. Comme si de rien n’était. (...)

Votre guerre, ce n’est pas uniquement une lutte contre un virus, elle a des conséquences globales sur nos vies. Vous ne l’avez pas préparée et c’est nous qui le payons. Par vos discours culpabilisants sur les « priorités » médicales, des femmes n’osent plus se rendre dans les centres d’IVG, droit qui n’attend pourtant pas. Les rues se vident mais le harcèlement y reste omniprésent. Les violences domestiques se sont accrues. L’enfermement ne permet aucun répit aux femmes. Cette guerre ne doit pas non plus être l’excuse d’un recul de nos droits. (...)

Alors, Messieurs, nous ne serons plus jamais les bonnes petites soldates de vos guerres. Nous ne serons pas vos domestiques non plus. Il est bien trop facile de nous applaudir, de saluer notre dévouement et nos sacrifices. Cela vous donne bonne conscience mais ne croyez pas que cela nous fasse oublier les casseroles que vous traînez, ne croyez pas que nous allons continuer à agir sans réagir. Des casseroles, nous en utilisons souvent, aux fenêtres, elles nous réchauffent le cœur mais nous ne voulons pas retourner aux fourneaux et sans droits supplémentaires une fois qu’elles auront fini de retentir.

Mesdames, nous ferons front, exigeons de nouveaux droits et des moyens pour assurer, à tous les niveaux de la société et dans tous les aspects de notre vie, une égalité réelle entre les femmes et les hommes et une revalorisation salariale des métiers féminisés. C’est à nous aussi de décider pour empêcher que des hommes en cols blancs et costumes noirs déclarent des guerres. Le monde de l’après-crise sera celui de l’égalité. Nous le devons à toutes les femmes d’hier, d’aujourd’hui et de demain.