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Non-Fiction
Nos peurs seront-elles la chance du XXIe siècle ?
Article mis en ligne le 28 mai 2019
dernière modification le 27 mai 2019

Quinze intellectuels et artistes réfléchissent à nos peurs face à la menace terroriste, à la menace écologique, et à la menace nucléaire.

Sur le plan psychologique, on peut définir la peur et la crainte comme deux sentiments à double signification, physiologique et existentielle, nés à l’approche d’un danger réel ou supposé. Ce sont des émotions auxquelles on peut renvoyer des objets individuels (j’ai peur du noir et des fantômes ! je crains la foule !) ou des objets collectifs (la peur médiévale de l’enfer ! la crainte de la guerre qui vient !). Elles entraînent derrière elles des réactions assez typiques : le refus de se rendre quelque part, en plus un vendredi 13, faire des réserves d’huile et de sucre, etc.

La première interprétation en est presque toujours psychologique. Mais il est tout à fait insuffisant de les restreindre à de telles considérations. Non seulement la sociologie peut fournir d’autres explications (par exemple sur les rumeurs qui ont imposé des peurs, jadis, à Orléans, aujourd’hui autour de camionnettes blanches autour de Paris), mais encore la philosophie, l’anthropologie religieuse, ainsi que d’autres savoirs. Paradoxalement, d’ailleurs, l’idée d’un Dieu à craindre, dans les religions révélées, souligne déjà une autre fonction de la peur, cette fois dans la découverte de la finitude du monde mise en balance avec l’infini.

Organisé par Jean Birnbaum, De quoi avons-nous peur ? tente de reprendre cette question de la peur, en l’articulant à notre époque . Le livre de Jean Delumeau, La Peur en Occident, XIVe-XVIIe (Fayard, 1979), comme un certain nombre d’autres, avait donné matière à réflexion historique, en son temps. Ces ouvrages nous ont appris comment les peurs modernes se dégagent des références bibliques qui fondent la peur médiévale. D’autres ouvrages encore ont insisté sur les peurs modernes, et Jean-Pierre Dupuy a raison de souligner que les mises en scène traditionnelles du Siegfried de Wagner, dans la deuxième journée de la Tétralogie, montrent, à partir du XIXe siècle, un héros qui ne connaît pas la peur. (...)

Nous déployons des peurs individuelles et collectives dont la vie sociale, les médias, les enquêtes témoignent. Des peurs ? C’est-à-dire des épouvantes devant ce qui advient ou risque d’advenir. Nous sommes ainsi « frappés par la peur », effrayés avec plus ou moins d’intensité par tel ou tel objet. À dire vrai, on devrait sans doute distinguer les peurs et les craintes. En effet, quelqu’un nous fait peur par surprise. Dans la peur, la cause et la réaction coïncident. Mais la crainte de quelque chose peut précéder son avènement. La crainte laisse une certaine latitude à la montée de l’angoisse, à une distension dans laquelle peuvent se loger de nombreux autres paramètres, encore une fois autant à l’échelle individuelle qu’à l’échelle collective.

Cette distinction n’est sans doute pas toujours nécessaire. Dans cet ouvrage, elle compte peu. Il n’en reste pas moins vrai que des peurs spécifiques traversent notre époque. Tentons un répertoire succinct. L’époque est évidemment marquée par des peurs devant le développement technologique de l’humanité, le génie génétique, l’armement, l’ingénierie agronomique… toutes ces technologies comportant un risque de détruire l’humanité. À quoi s’ajoutent la peur des invasions migratoires, du déclin de la civilisation, d’une supposée islamisation de la société, toutes ces peurs qui ont pour effet de fragiliser les règles et les principes élémentaires du secours et de l’accueil. Pour éviter les listings interminables, les auteurs proposent de saisir les textures de la peur contemporaine dans trois grands types de menaces : la menace terroriste, la menace écologique, la menace nucléaire (rappelant que la paix internationale n’est qu’un équilibre de la terreur).

Néanmoins, pour cerner l’empire de la peur ou des peurs, il convient aussi de faire référence aux réseaux de diffusion des peurs et à la puissance destructrice de leur contagion. En l’occurrence, à l’ère d’Internet, les arguments de la peur sont beaucoup plus aisés à reproduire et à diffuser que ceux qui permettent d’entretenir une confiance nécessaire à la vie démocratique. (...)