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Nos morts ne vous sont pas dues Covid, suprématie validiste et interdépendance
Par Mia Mingus Traduit de l’anglais (É-U) par Unai Aranceta et Elvina Le Poul Article original : « You Are Not Entitled To Our Deaths : COVID, Abled Supremacy & Interdependence », Leaving Evidence, 16 janvier 2022
Article mis en ligne le 8 février 2022

Depuis le début de la pandémie, les malades chroniques, immunodéprimé⋅es, personnes âgées et handicapées sont particulièrement exposé⋅es au danger mortel que représente le covid. Iels doivent en plus affronter les effets indirects que la circulation du virus engendre : isolement, pénurie de personnels soignants, précarité. Pourtant, leurs vies restent perçues comme secondaires et l’écart se creuse avec les personnes valides qui se sentent peu concerné⋅es par les risques. L’autrice et formatrice Mia Mingus travaille sur la justice handie et la justice transformatrice. Elle invite à mettre au centre les personnes handicapées et à envisager la pandémie selon une perspective antivalidiste.

Ces jours-ci, les personnes valides peinent à trouver grâce à mes yeux. Je me suis mise en retrait de la plupart de mes relations avec les valides de mon entourage parce qu’honnêtement, je ne parviens pas à exprimer l’ampleur de la rage handie que je ressens au sujet de cette pandémie, ni l’ahurissant nombrilisme des valides occupé⋅es à défendre leur bon droit. Impossible de demander gentiment des nouvelles ou de m’entendre demander comment je vais, dans ce contexte de souffrance de masse, de maladie et de mort. Je ne peux plus me pencher sur les analyses qui au milieu d’une pandémie, détaillent les taux élevés d’infection, de maladie et de mort dans les communautés des personnes racisées, Noires et Indigènes qui omettent d’évoquer la situation des personnes handicapées dans ces mêmes communautés. Je ne peux plus écouter la direction du CDC (ndt : le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, principale agence fédérale de protection de la santé publique) affirmer qu’il est encourageant que seules les personnes qui n’étaient pas en bonne santé avant l’infection mourront des suites d’Omicron, et avoir vent des vacances extra-continentales de mes soi-disant camarades. Je ne peux plus prendre part aux conversations prétendument politiques qui ne reconnaissent pas le handicap, le validisme et la suprématie valide alors qu’on est au cœur d’une pandémie.

Nous n’échangerons pas les morts des personnes handicapées contre les vies des personnes valides. Nous ne permettrons pas que des personnes handicapées soient jetables, ni qu’elles servent de variables d’ajustement pour le maintien du statu quo. Nous ne détournerons pas le regard de la maladie et de la mort de masse qui nous environnent, ni d’un appareil d’État, qui tout à son laisser-faire eugéniste, s’applique essentiellement à perpétuer le profit et le confort des privilégié⋅es. (...)

Nous savons que nous avons besoin d’un changement systémique pour que notre communauté puisse – littéralement – survivre à cette pandémie, mais nous savons aussi que le type de changement dont nous avons besoin a peu de chance d’advenir. Il est dans l’intérêt de celleux qui ont le pouvoir de maintenir les gens éloignés du soin, malades et dépendants de miettes de plus en plus maigres. C’est là une des raisons de l’efficacité du validisme et de la pauvreté, et ce qui explique pourquoi les deux vont si souvent de pair. Il y a tant de choses en ce moment que nous ne pouvons ni maîtriser, ni changer, même si nous le voulions désespérément. Tandis que nous luttons pour des changements systémiques, nous pouvons aussi transformer ce qui se passe au sein de nos communautés. Nous pouvons apprendre de nos erreurs et tenter, c’est la moindre des choses, de ne pas empirer les choses. (...)

Si la justice transformatrice nous a appris une chose, c’est bien que le changement systémique n’est pas suffisant. De nombreux changements doivent aussi se produire au niveau communautaire et individuel.

Les vaccins ont mis en lumière le profond ancrage du validisme dans nos cultures politiques. (...)

Pourquoi avons-nous permis que l’on présente le vaccin comme un choix individuel plutôt que comme une action collective au nom de l’interdépendance et de la solidarité avec les personnes handicapées (en particulier celles à haut risque), les aîné⋅es, les enfants qui ne peuvent pas se faire vacciner, les pays du Sud global, les travailleurs⋅euses essentiel⋅les et celles et ceux qui n’ont pas la possibilité de travailler depuis la maison ? Pour celles et ceux qui peuvent se faire vacciner, il ne s’agit pas de choix personnel. Ça n’a rien à voir avec le fait de décider d’avorter, arrêtez avec ça. Ne pas se faire vacciner n’a rien du « mon corps, mon choix », c’est comme conduire en état d’ébriété ou exposer quelqu’un·e à la fumée de sa cigarette.

Nous devrions parler de la vaccination pour la faire entrer dans notre culture politique à gauche. En parler sur les réseaux sociaux est important, mais il est plus important encore d’avoir cette conversation avec les gens qui nous entourent. Non pas pour faire honte, car on sait, grâce à la justice transformatrice, que faire honte n’est pas utile, mais de façon à engager la conversation et poser des conséquences claires, et non des punitions. (...)

Le fait de se faire vacciner et de faire ses rappels devrait être présenté comme faisant partie de notre engagement politique en faveur de l’interdépendance, de la justice pour les personnes handicapées 1 et de la solidarité. J’ai été écœurée, mais pas tellement surprise, du nombre de personnes de nos mouvements qui ont les moyens d’être vaccinées, qui ont choisi de ne pas l’être et continuent d’aller au restaurant, dans des fêtes, au lieu de rester chez elles et de protéger les autres. En tant que personne qui a subi des abus phénoménaux, dont des abus sexuels, au sein de l’institution médicale, je ne soutiens en aucune manière l’imposition forcée de traitements médicaux, y compris de vaccins. Je veux que vous vouliez faire ce qui est juste. Je veux que vous vouliez protéger les autres et vous soucier d’elles et d’eux. Si vous avez les moyens de vous vacciner, mais que vous vous opposez catégoriquement à le faire, alors pour notre sécurité collective, restez chez vous et tenez vous loin des autres. (...)

Vous profitez de vos relations aux dépends de notre isolement. Vos besoins sont toujours plus importants que ceux du collectif. Quand vous choisissez de faire des paris avec votre propre santé, vous prenez seulement en considération les risques que vous prenez et jamais ceux que vous faites courir aux autres. La manière dont le bon droit des valides évalue les risques ne varie pas : « serai-je malade ? Je m’en remettrai bien. Ma famille ira bien, mes enfants iront bien », jamais il ne se demande : « est-ce que ça ira pour elleux ? Est-ce que ça ira pour leurs enfants, pour leur famille ? Est-ce que toutes les personnes avec lesquelles iels interagissent iront bien ? » Jamais il ne se demande : « Est-ce que ça pourrait blesser leur pays, leur continent ? » Bien emmitouflé⋅e dans votre bravade de privilégié⋅e valide : « ça ne peut pas m’arriver. Je suis en bonne santé », jamais vous ne vous demandez : « Qui pourrais-je exposer ? Je m’en remettrai peut-être, mais quelqu’un d’autre ne s’en remettra peut-être pas. »

La suprématie validiste signifie que beaucoup d’entre vous estiment à tort que si vous attrapez le covid et que vous vous en tirez avec un covid long, l’État ou votre communauté s’occupera de vous. (...)

Notre gouvernement se fiche des personnes handicapées qui existent déjà. Penser qu’il prendra soin de vous si vous devenez handicapé⋅es à cause du covid, comme des millions d’autres le deviendront, c’est le fruit de votre ignorance validiste.

J’ai besoin que vous vous souciez davantage des vies des personnes handicapées que de vos vacances ou de vos fêtes. (...)

Nous ne savons pas quand un prochain variant s’affirmera comme une menace. Les scientifiques observent de nombreux variants qui ne sont pas encore devenus des menaces. Plus le covid est autorisé à circuler au sein d’une communauté, plus il a de chance de muter et d’engendrer un nouveau variant. Nous ne pouvons pas continuer à risquer la sécurité collective au nom des petits plaisirs individuels. Nous ne pouvons pas continuer à sacrifier les besoins à long terme au nom de la satisfaction des désirs à court terme.

Les personnes handicapées ne sont pas jetables. Nous sommes votre présent redouté et votre inévitable futur. (...)

Les pandémies, le changement climatique, la pollution et la toxicité ont fait pencher la balance et augmenté les chances que le handicap représente notre futur collectif. Vous avez peut-être pu détourner les yeux de la violence d’État, de la pauvreté et de l’addiction, mais qu’en est-t-il lorsque c’est l’air même que vous respirez qui devient une menace ? Quand il n’est plus possible d’échapper à la catastrophe climatique et que vous ne pouvez pas vous permettre de quitter la planète ? La sécurité individuelle est un mythe en soi. Elle n’existe pas sans sécurité collective, et la sécurité collective implique que personne ne soit en sécurité si tout le monde ne l’est pas. (...)

La culture validiste vous apprend à agir comme si vous étiez indépendant·e, à adhérer au mythe de l’indépendance. Rejetez cela. Adoptez l’interdépendance et prenez conscience qu’il s’agit du seul moyen qui nous rende capables de mettre fin à cette pandémie. Sachez que si nous mettons les personnes handicapées, et en premier lieu celles à haut risque, au centre de nos préoccupations, cela aidera tout le monde. (...)

La solution ne peut pas passer par la contamination de tous·tes au covid. Il s’agit d’eugénisme, car de nombreuses personnes handicapées à haut risque mourraient du covid et celles et ceux qui n’en mourraient pas auront de graves complications et des répercussions à vie sur leur santé et leur bien être, notamment en cas de covid long. Ne tombez pas dans le panneau de cette pensée eugéniste qui suppose le sacrifice des plus vulnérables. Le covid long est réel et peut toucher n’importe qui. (...)

L’interdépendance c’est en fin de compte le « nous » qui prime sur le « je ». C’est la compréhension que nous sommes lié·es les un·es aux autres, par notre simple existence sur cette planète. L’interdépendance est génératrice et fondée sur le soin des autres. (...)

L’interdépendance nous demande d’imaginer de nouvelles façons d’aller de l’avant avec l’intention et la profonde volonté de s’engager avec les autres. Nous avons besoin de vous. Nous avons besoin de nous tous⋅tes. On ne pourra pas sortir seul·es de cette pandémie. On ne pourra pas arrêter la propagation ou pousser nos gouvernements à en faire plus, seul·es. Nous avons besoin les un·es des autres. Nous avons besoin les un·es des autres.

Nous avons besoin les un·es des autres.