
Malgré une politique de stigmatisation menée par la droite depuis des années, l’immigration n’effraie pas les Français, beaucoup plus préoccupés par la question sociale.
(...) En lieu et place d’un problème, l’immigration ne serait-elle pas une chance pour la société française ? Après avoir suscité l’ire de ses détracteurs de droite depuis des décennies, cette hypothèse ne serait-elle pas enfin en train de s’imposer raisonnablement ? N’assiste-t-on pas à un déplacement de la question ? Comme le rappelle le sociologue Eric Fassin dans Démocratie précaire, son nouvel essai, “l’évidence trompeuse” de ce problème s’est imposée dès les années 80 avec le FN – “on ne rejetait ses réponses que pour mieux adopter ses questions”. Elle s’est redéployée dans les années 2000 et emballée après les violences urbaines de 2005 et l’élection présidentielle de 2007.
Mais si le mandat de Sarkozy reste marqué par une régression inédite des droits des étrangers, le paradoxe est que sa stratégie politique a culturellement échoué. Comme si trop de zèle xénophobe censé satisfaire une partie de son électorat s’était retourné contre lui. Cet échec réside dans l’écart entre le cadre sécuritaire de sa politique et les représentations réelles que se font les Français de l’immigration. (...)
L’une des questions clés reste la difficulté pour la gauche à “faire entendre une voix différente sur un sujet qui est le réceptacle de tellement d’idées reçues, d’analyses biaisées et de jugements à l’emporte-pièce”. Car face à la question de l’immigration, une partie de la gauche est restée atone, comme si l’impensé avait “longtemps perduré, sur un terrain miné par les représentants d’une droite qui se radicalise”.
L’absence de discours alternatif a “fait le lit des populismes”
Le collectif de chercheurs Cette France-là, piloté par le philosophe Michel Feher, creuse cette question dans son dernier ouvrage, Xénophobie d’en haut, en soulignant que l’absence de discours alternatif a “fait le lit des populismes” dans l’opinion. (...)
En réalité, “les classes populaires ne sont pas forcément xénophobes ou racistes, ni d’ailleurs xénophiles ou antiracistes”. Le choix n’est pas à faire entre minorités et classes populaires, “comme si le peuple était blanc et comme si les Français de couleur n’appartenaient pas au peuple”. Pour Cette France-là, “déplacer le regard vers la xénophobie d’en haut, ce n’est pas nier la réalité de la xénophobie d’en bas ; c’est renverser une représentation dominante, non seulement de la société, mais aussi de la politique”.
L’étude de la Fondation Jean-Jaurès donne de ce point de vue raison aux auteurs de Cette France-là, en soulignant la maturité politique des citoyens face à ces enjeux. (...)
La régularisation des immigrés illégaux installés durablement en France et payant des impôts, ayant des enfants scolarisés, fait l’unanimité. Par ailleurs, “l’accès des immigrés réguliers aux aides, allocations, subventions et, d’une manière générale, aux services publics est un objet de fierté de la part des intervenants ‘ouverts’ comme ‘ouverts-fermés’ : l’idée de les conditionner à la nationalité française st unanimement récusée”. Même le droit de vote aux élections locales est perçu comme une étape dans le processus d’intégration des immigrés. Quel aveu d’échec pour la droite ! La “racialisation” de son discours l’a éloignée de ces nombreux Français “rétifs aux associations ostracisantes proposées par Sarkozy, dont le discours de Grenoble, en reléguant la présence des immigrés sur le territoire français au rang d’erreur, fait figure de symbole”. (...)
“Comment avons-nous pu prendre la xénophobie pour une fatalité inscrite dans la nature du peuple, et non pour la négation de la démocratie ?”
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