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Ni vrai, ni faux : Macron et Le Pen champions de l’implicite
Article mis en ligne le 24 avril 2019

(...) Plus encore que par les fausses nouvelles, le débat électoral est pollué par un nombre important d’informations implicites qui échappent à notre contrôle cognitif, pénètrent de manière sournoise le discours, et s’installent dans le sens commun. Dans ce billet, Giorgia Mannaioli et Paola Pietrandrea dévoilent les mécanismes utilisés pour dire sans dire et mesurent le taux – très élevé – d’informations implicites dans les discours de lancement des campagnes d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen.

Etrangement, nous ne nous inquiétons pas assez de la proportion ahurissante d’informations ni vraies ni fausses qui pénètrent de manière sournoise le débat public, échappent à tout contrôle cognitif de la part de l’opinion publique et finissent par se sédimenter dans le sens commun. « Le problème migratoire est un problème sécuritaire. » « L’Europe est définie par ses valeurs et ses frontières. » « L’internationale des nationalistes est soudée et œuvrera à un seul et même but. » « Les contraintes imposées par les traités européens ne sont pas contournables. » Si on creuse l’histoire du débat public sur l’Europe, on trouvera que ces évaluations n’ont été que très rarement et très marginalement discutées en tant que telles, que le discours public a eu plutôt tendance à les présenter comme acquises et présupposées par tous et que par conséquent elles ont fini par être effectivement acceptées et partagées par l’opinion publique.

Le débat foisonne par ailleurs d’un grand nombre d’entités et catégories mal définies ou non définies du tout : « la voix du peuple », « les peuples européens », « les élites de Bruxelles », « les puissances étrangères qui manipulent nos élections et répandent des fausses nouvelles ». De quoi parle-t-on exactement ?

Qu’on soit clair : nous ne disons pas ici que de telles entités, catégories, informations et croyances – qui constituent par ailleurs des piliers incontournables du débat public sur l’Europe – sont nécessairement fausses, non existantes ou non définissables. Nous disons que la façon dont elles sont introduites dans la plupart des discours ne permet pas au public de décider si elles sont vraies ou fausses, existantes ou non existantes, définissables ou non définissables.

Le discours sur l’Europe, plus que faux, est flou. (...)

les langues disposent d’un certain nombre de constructions qui nous permettent de présenter les informations dont nous savons qu’elles sont déjà acceptées par tous comme des informations implicites, c’est-à-dire des constructions pour lesquelles notre interlocuteur n’a pas à faire l’effort d’en vérifier le bien-fondé. Nos discours foisonnent par conséquent de constructions destinées à encoder des présuppositions, des implicatures, des topicalisations, des descriptions vagues.

Ces constructions (que nous décrivons et expliquons en détail dans la boîte noire en fin d’article) sont utilisées de manière honnête lorsqu’elles servent à introduire des informations qui n’exigent pas un examen approfondi de la part du destinataire. Mais elles peuvent être utilisées de façon manipulatoire lorsqu’elles servent à introduire des contenus nouveaux, douteux, problématiques dans le discours sans passer par le crible des destinataires. (...)

Ce qui n’est pas dit passe donc plus facilement. Et comme les contenus implicites ne sont pas soigneusement examinés par les destinataires, ils sont moins susceptibles d’être contestés et, par conséquent, plus susceptibles d’être tacitement acceptés..

Ainsi, chaque fois qu’une entité introduite dans un discours n’est pas définie de manière suffisamment précise pour pouvoir être identifiée de façon univoque, chaque fois qu’un locuteur, au lieu d’assumer la responsabilité d’une évaluation, se limite à la donner par présupposée ou à l’insinuer par une implicature, nous avons affaire à une tentative de contourner notre examen critique par l’implicite et donc à une manipulation discursive.

Comme nous le montrons dans la boîte noire, les publicitaires ont appris depuis des années à se servir de ces mécanismes de persuasion manipulatoire. La propagande politique s’en est également emparé. (...)