
Entretien avec Michel Fernex, professeur émérite de médecine et spécialiste des impacts sanitaires des radiations
"Il est temps de cesser de mentir. Il faut reconnaître le danger que représentent les problèmes génétiques qui vont s’amplifier".
Cette étude consacrée à un papillon bleu commun au Japon montre que les retombées radioactives de Fukushima altèrent le génome de cette espèce animale [1]. C’est un excellent travail de recherche conduit sur le terrain et au laboratoire par sept universitaires. Les photos illustrent bien les altérations congénitales qui étaient déjà présentes deux mois après les explosions chez les papillons femelles, et qu’on retrouve amplifiées dans les deux générations qui ont suivi.
On était en droit d’attendre une telle qualité et une telle rapidité de la part des universitaires japonais. On doit d’autant plus regretter qu’aucune Faculté de Médecine de ce pays hautement qualifié dans ces domaines n’ait eu le même courage. En effet, les autorités cherchent à minimiser ou occulter l’impact de la dissémination des énormes quantités de radionucléides artificiels libérées suite à la catastrophe atomique. Encore aujourd’hui, le pays impose le silence et l’immobilité au corps médical. (...)
Les rayonnements ionisants ont une radiotoxicité qui altère le développement de l’animal. C’est l’effet tératogène [= producteur de malformations]. Les rayonnements sont aussi mutagènes : ils peuvent altérer directement l’ADN des gènes et entraîner la mort ou provoquer des anomalies héréditaires qui ne s’exprimeront souvent qu’après plusieurs générations.
Chez les papillons de Fukushima, les dommages génétiques sont non seulement précoces, mais en plus ils augmentent significativement de génération en génération. (...)
Cette étude confirme tous les travaux antérieurs. Ainsi, une étude réalisée de 1986 à 1996 par des chercheurs biélorusses sur 22 générations de campagnols de la région de Tchernobyl avait déjà démontré la poursuite d’une telle aggravation du dommage génétique, découvert dans des zones avec une radioactivité sur les sols de 2 546 000 Becquerels par mètre carré, ce qui est énorme, mais aussi à 300 km de là, près de Minsk, avec seulement 12 000 Bq/m2 [2].
Plusieurs équipes de scientifiques, dont celles d’Anders Møller et Thimothy Mousseau [3], ont étudié la zone de 30 km de rayon évacuée autour de Tchernobyl. Elles ont montré qu’une contamination radioactive importante des sols entraînait encore, plus de 20 ans après, une baisse de la biodiversité et de l’abondance par espèce du fait de la réduction de la fertilité et de la mortalité précoce chez les oiseaux. Dans les régions fortement contaminées, la population des différentes espèces de grands mammifères, des reptiles, des batraciens et des arthropodes comme les papillons, les sauterelles et les bourdons s’est réduite.
Ces mêmes chercheurs ont constaté en 2011 l’impact négatif des rayonnements ionisants à Fukushima chez les oiseaux et les papillons. Seul l’effectif des araignées a augmenté, (...)
Certes, dans la zone d’évacuation de Tchernobyl, les animaux ne sont plus menacés par leur principal prédateur, l’homme. Mais il est faux d’évoquer une nature luxuriante : les recherches sur la faune font état d’une diminution de population, d’une mortalité accrue et d’une baisse de fertilité chez quasi tous les animaux étudiés, du fait des pathologies héréditaires et de la contamination de leur alimentation, notamment par le césium 137. Les hirondelles connaissent ainsi une quasi-extinction [5].
La théorie d’une "nature préservée" autour de Tchernobyl effectue une grossière impasse sur tous ces travaux, qui restent peu connus du grand public du fait de la censure et de l’arrêt des financements de l’A.I.E.A. . C’est un cliché mensonger destiné à légitimer l’ouverture de la zone d’évacuation à un certain type de tourisme, comme le souhaite l’Ukraine, et bien sûr à nier l’impact réel d’un accident nucléaire majeur. (...)
À Fukushima, comme ce fut le cas à Tchernobyl, les autorités n’ont pas évacué les populations à temps. On doit imaginer que les milliers d’habitants évacués trop tard ainsi que les travailleurs qui s’acharnent à réduire la contamination de l’environnement, en particulier de la nappe phréatique, auront des descendants génétiquement plus affectés qu’eux-mêmes. (...)