
Les groupes américains sont montrés du doigt pour les profits amassés à l’abri de l’impôt. Les Européens sont-ils plus vertueux ? L’évasion fiscale coûterait 1000 milliards d’euros aux finances publiques européennes, selon la Commission. Autant aux pays en développement. Nous avons, en partenariat avec le CCFD-Terre Solidaire, dressé l’inventaire des filiales détenues dans les paradis fiscaux par les plus grandes firmes européennes.
Qu’on le dise d’emblée : détenir une filiale en Irlande, en Suisse ou même aux Bahamas n’est pas répréhensible en soi. Ces pays ou territoires représentent des marchés, ou de possibles lieux de production. Aussi le seul décompte des 5848 filiales détenues par les 50 plus gros groupes européens dans les paradis fiscaux ne vaut-il pas, en lui-même, condamnation.
Mais la multiplication récente des scandales d’évasion fiscale, notamment autour de groupes américains (Apple, Google, Amazon, Pfizer…), et les pratiques généralisées de transfert de profits pour des raisons fiscales, aujourd’hui reconnues par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), jettent indéniablement un voile de suspicion sur l’omniprésence des firmes européennes aux « paradis ». (...)
Seule la transparence sur l’activité qu’elles mènent, pays par pays, permettrait d’en avoir le cœur net. Et de démasquer, s’il y en a, les filiales sans guère de salariés, créées dans l’unique but d’y loger le bénéfice à l’abri de l’impôt.
Le minimum que nous serions en droit d’attendre des entreprises : une liste exhaustive des filiales précisant, pour chacune ou par pays, l’activité, le chiffre d’affaires, les bénéfices dégagés, le nombre d’employés, les impôts versés, les subventions reçues. L’exigence est si légitime que la France puis l’Europe ont décidé, ce printemps, de l’imposer aux banques, et qu’elles envisagent désormais sérieusement d’en étendre l’application à tous les secteurs – le Conseil européen s’est prononcé en ce sens le 22 mai 2013, l’Assemblée nationale française vient d’en adopter le principe, le 6 juin 2013 (retrouvez le détail des évolutions politiques et des recommandations dans le rapport du CCFD-Terre Solidaire « Au paradis des impôts perdus »). C’est à l’aune de cette exigence minimale que nous avons scruté la présence des 50 plus grosses entreprises cotées d’Europe dans les paradis fiscaux[1]. Contestera-t-on la scientificité de la démarche ? Elle est à la mesure de la transparence dont font preuve ces groupes dans leurs rapports annuels et autres documents publics (voir notre méthodologie). (...)
Les firmes européennes ont une préférence marquée pour les paradis… européens ! Elles localisent 63 % de leurs filiales offshore dans les 18 territoires européens de la liste de TJN (Voir la carte établie par le CCFD-Terre Solidaire). Seule une poignée d’entre elles sont davantage implantées dans des paradis hors d’Europe : Enel, Nestlé, Shell, Tesco et Deutsche Bank.
Les destinations de prédilection sont, dans l’ordre : les Pays-Bas, l’État du Delaware (États-Unis), le Luxembourg, l’Irlande et les Îles Caïman. À eux seuls, ces cinq territoires concentrent plus de la moitié (53 %) des filiales que les firmes européennes détiennent dans des paradis fiscaux. Suivent la Belgique, l’Autriche, la Suisse, Hong-Kong, Jersey, la Hongrie et Singapour. Les Pays-Bas ont particulièrement la faveur des groupes industriels, tandis que les assureurs lui préfèrent le Luxembourg. Quant aux banques, elles localisent la moitié de leurs filiales offshore au Delaware, dans les Caïman, au Luxembourg et en Irlande. À noter aussi la séduction exercée par les Pays-Bas et les Bermudes sur les pétroliers. (...)