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Mediapart
Mort de Nahel : « La marche blanche, c’est pour les darons. Nous, notre hommage, c’est contre la police »
#Nahel #violencespolicieres #discriminations #inegalites #racisme
Article mis en ligne le 29 juin 2023

Dans le quartier du Vieux-Pont, à Nanterre, d’où était originaire Nahel, 17 ans, tué par un policier le 27 juin, les habitants, endeuillés, partagent la colère d’une jeunesse abandonnée et dénoncent le racisme, le harcèlement des forces de l’ordre, et l’abandon général dont ils s’estiment victimes.

« Les journalistes, vous ne venez que lorsqu’il y a un mort et des émeutes. Des vautours ! Le reste de l’année, on ne vous voit jamais », lance Samir, la trentaine, lorsque nous nous présentons en arrivant dans le quartier du Vieux-Pont, à Nanterre.

Quelques barres d’immeubles, un terrain de sport abandonné, un gymnase en ruines et jamais reconstruit, une annexe de la mairie fermée… l’abandon du quartier saute aux yeux et il ne date pas d’hier. Mais, depuis vingt-quatre heures, les médias affluent à la recherche des proches de Nahel, tué le 27 juin par un policier lors d’un contrôle routier. Certains attendent les prochains heurts entre les jeunes du quartier et les forces de l’ordre.

Les yeux humides, Samir ne décolère pas. « Les médias ont voulu salir la mémoire de Nahel en essayant de lui coller des affaires judiciaires inexistantes. Sans la vidéo enregistrée par le témoin, la version des policiers soi-disant percutés par la voiture de Nahel, l’aurait emporté. Et là, parce que des célébrités ont pris sa défense comme Omar Sy, il est de bon ton de venir faire son portrait. Vous cherchez tous à faire vos scoops sur un mort. À celui qui aura l’info que l’autre n’a pas. Peut-être aurait-il fallu venir voir avant comment il a grandi, comment l’État nous traite dans les cités, comment la police nous harcèle. » (...)

Moustapha a tout vu disparaître dans le quartier. Les médiateurs, les policiers de proximité. « Les quartiers s’enflamment, les politiques ont peur et les journalistes arrivent. C’est la seule solution quand on vient de nos quartiers pour se faire entendre. »

Sans dresser « un tableau idéal de ma jeunesse, j’ai quand même le souvenir d’une police moins raciste. Je n’ai jamais vu de flic sortir son arme. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’ils ont la gâchette facile. Il n’y a plus de dialogue possible, plus aucun respect. » Un homme surgit alors et explique que, quand il était plus jeune, les policiers « relevaient les plaques d’immatriculation » et venaient « vous interpeller chez vous. Aujourd’hui, ils tuent ».

Un peu plus loin, Mohand, 15 ans, a les traits tirés. « Je viens de sortir de garde à vue. Il est midi et j’y étais depuis hier soir à 20 heures. » À la suite de son interpellation, il y a eu un « classement sans suite, vu que je n’ai rien fait. Mon seul tort a été de courir au début des affrontements parce que j’ai eu peur des policiers ».

En bas de l’immeuble, sa mère, Najet, 49 ans, venue le chercher au commissariat ne décolère pas. « Mon fils a une marque sous l’œil que les policiers lui ont faite en l’arrêtant pour rien. Et ils m’ont dit, il n’y a rien contre lui, vous signez et vous partez. Je devrais porter plainte mais ça ne va rien changer, hélas ! On finit, nous-mêmes, par détester les policiers. » (...)

Sur le banc d’en face, Ilyes, 15 ans, passe le temps en attendant que son ami Mohand redescende. Il inspecte son scooter, scrute son téléphone et parfois a le regard plongé dans « nulle part. C’est que je pense à Nahel. À sa mort. Je suis dégoûté. Comment peut-on mettre une balle dans la tête d’un jeune ? Ça me fait peur », confie-t-il. D’autant qu’il est souvent contrôlé par les policiers, « près de trois à quatre fois par semaine ».

Ils connaissent « mon identité, savent que je suis en règle mais ça semble leur faire plaisir. Ils attendent que je perde le contrôle de mes nerfs », raconte le jeune homme, blasé. Il ne s’en cache pas : « J’aurais aimé participer aux émeutes parce que c’est plus qu’une vengeance. La marche blanche, c’est pour les darons. Nous, notre hommage, c’est contre la police. C’est notre façon d’exister lorsqu’on nous a tout enlevé. »

Il fait alors référence aux émeutes de 2005, survenues à la suite du décès de Zyed Benna et Bouna Traoré, à Clichy-sous-Bois, électrocutés alors que les policiers les pourchassaient. « Je n’étais pas né mais forcément on en parle. C’est un peu notre histoire. Et elle ne change pas beaucoup hélas ! » (...)

À côté, au centre social et culturel du quartier, le personnel s’organise et fait un point sur les bâtiments qui ont brûlé la veille. Là encore, personne ne veut parler sous son identité, par peur que leurs propos soient déformés et des répercussions pour le quartier. (...)

Elle nous raconte alors l’histoire du centre social, créé il y a une vingtaine d’années « par sa mère lorsqu’elle a perdu son emploi. Cela fait seulement quelques mois que nous sommes dans ce petit pavillon que la mairie nous a trouvé. Sinon nous sommes restés dix ans dans un Algéco sur un parking ». C’est ainsi que les familles du quartier étaient accueillies pour l’aide aux devoirs, le périscolaire, l’alphabétisation.

Elle ne parvient pas à retenir sa profonde tristesse en pensant à « la mère de Nahel qui a élevé seule son seul fils. C’était son fils, son ami. Ils étaient inséparables. La peine est inimaginable. Et ce qui est effrayant est de lire les commentaires racistes sur les réseaux sociaux ». (...)

C’est aussi ce que fait remarquer l’un des jeunes à la sortie du centre social qui nous demande : « Vous savez combien de personnes noires ou arabes ont été tuées par la police lors des refus d’obtempérer ? J’ai l’impression que la couleur de peau est ciblée par les policiers. »