
En juin dernier, le conseil municipal de Bordeaux a voté une feuille de route pour l’économie sociale et solidaire (ESS) faisant figurer parmi les axes majeurs le développement de la Miel (monnaie d’intérêt économique locale) au sein des services de la Ville. Présente depuis 2016 dans la métropole bordelaise, cette monnaie locale reste encore trop confidentielle, avec une centaine de prestataires. Ses créateurs comptent notamment la relancer avec une version numérique.
À Bordeaux, dans le quartier des Chartrons, une dizaine de commerçants acceptent la Miel, monnaie d’intérêt économique local, présente depuis 2016 dans la Métropole. Seulement, dans la ville, la Miel peine à circuler. Hélène tient la Maison Hegara, une épicerie bio qui propose des produits locaux, située cours Portal :
« Je suis adhérente depuis le lancement. Je dois avoir cinq clients réguliers qui l’utilisent aujourd’hui. Au début, ça a bien fonctionné, et puis ça s’est essoufflé… Le principe de faire vivre l’économie locale et les circuits-courts est pourtant une très bonne idée, mais il faut que la Miel circule plus. »
Un regain à Noël (...)
Et pourtant, les fondateurs de la monnaie locale girondine comptent bien la relancer à Bordeaux, en s’appuyant sur le soutien des collectivités. Car la monnaie locale est l’un des outils intégrés à la feuille de route de la majorité municipale pour l’ESS. Parmi les axes présentés : déployer plus massivement la Miel, notamment par l’adhésion de la Ville à l’association. Ce levier politique pourrait faire de 2021 l’année de relance pour la monnaie locale. (...)
Quelques contraintes
À Bordeaux, une centaine de professionnels acceptent déjà la Miel dans des secteurs d’activité variés : supérette, boulangerie, librairie, bar, ostéopathie… Les particuliers sont, eux, environ 300 à utiliser la monnaie locale sur la ville. Aujourd’hui, celle-ci circule dans six « alvéoles » girondines : Libourne, L’Entre-deux-Mers, Sud Gironde, Bordeaux, Saint-Loubès et Saint-Médard-en-Jalles.
Daniel Bettinger est le fondateur de la Miel. Il reconnaît que faire vivre une monnaie locale est un travail de longue haleine, qui demande de l’implication (...)
« Le maire de Bordeaux souhaite étendre la monnaie locale à d’autres consommateurs, pas nécessairement des personnes aux profils engagés et militants. Nous aimerions travailler avec les centres sociaux. Toute la difficulté est de convaincre une population éloignée des monnaies locales, qui ne connaît pas son fonctionnement et va dans des commerces qui ne l’utilisent pas encore. »
Implication des élus
La Miel compte deux représentants au sein de la Ville de Bordeaux et de la Métropole. Jean-Baptiste Thony est conseiller municipal délégué à l’économie circulaire, le zéro déchet et la monnaie locale (...)
« En novembre, lors du mois de l’ESS, nous comptons faire connaître la Miel et le principe des monnaies locales. Et ce, pas seulement avec des colloques ou des conférences, mais aussi par des ateliers. L’aspect pratique est important dans l’appropriation d’une telle monnaie. »
Des discussions sont en cours entre la Ville et l’association de la Miel, confirme Yannick Lung est professeur émérite de l’Université de Bordeaux en Sciences économiques et co-président de l’association la Miel, créatrice de la monnaie éponyme :
« L’adhésion de collectivités locales à la Miel est un geste fort. Par exemple, à Bègles, nous avons engagé les discussions l’été dernier avec la mairie, qui est est devenue partenaire. Clément Rossignol Puech, le maire, est lui-même adhérent à la Miel. Tout cela a crée un contexte favorable à la diffusion de la monnaie locale dans la commune. »
Cette collaboration entre Bègles et l’association a ainsi permis de doubler le nombre de professionnels qui acceptent la Miel dans la ville, portant à 26 le nombre de prestataire : commerçants, artisans, acteurs culturels… À l’instar de Bègles, les maires de La Réole et de Saint-Loubès sont également adhérents à la monnaie locale. (...)
« Circuit trop court »
Outre un projet déploiement au sein des services de la ville de Bordeaux, la Miel devrait être accessible, d’ici la fin de l’année 2021, en version numérique. Une transition nécessaire pour Yannick Lung :
« La monnaie papier peut être une limite du côté des particuliers, car il faut se rendre dans un comptoir de change pour convertir ses euros en Miel. Avec d’autres associations de monnaies locales, nous sommes en train de développer une application qui va rendre possible le paiement en Miel avec un téléphone portable. » (...)
Daniel Bettinger y voit, lui, un moyen de simplifier les échanges entre professionnels :
« Les producteurs locaux n’utilisent pas la Miel. Pour eux, c’est une contrainte de devoir manipuler des Miel, sachant que les comptes se font en euros et qu’il ne s’agit pas de petites sommes. Les producteurs craignent de récupérer trop de monnaies locales, et de ne pouvoir la réutiliser après. Le circuit est trop court. » (...)
La Miel, avec d’autres associations de monnaies locales, a fait une demande de subvention auprès de la Région pour la numérisation. Une application sur téléphone viendrait en complément des coupons déjà en circulation, et qui pourrait permettre de pallier certaines contraintes liés à la monnaie physique.
Des billets aux smartphones
À Bordeaux, les commerçants rencontrés se montrent enthousiastes à l’idée du passage au numérique (...)
En 2020, la Miel représentait 30 000 euros en circulation. En comparaison, l’Eusko, la monnaie locale du Pays Basque français, et première monnaie locale européenne, compte 2 millions d’euros en circulation. D’ici 2022, l’association girondine espère que l’équivalent de 100 000 euros seront convertis en Miel.
Les monnaies locales complémentaires : citoyennes et solidaires
Indexées à l’euro (1 euro = 1 Miel, par exemple), les monnaies locales complémentaires se diffusent au sein d’un territoire restreint. Elles ne peuvent faire l’objet de spéculation. Une différence majeure avec d’autres monnaies alternatives, à l’instar des cryptomonnaies, comme l’explique Yannick Lung :
« Quand on parle de cryptomonnaies, on pense tout de suite au Bitcoin, mais il y en a des bien moins spéculatives. Les monnaies locales ont une position tout autre : là où les cryptomonnaies circulent partout dans le monde et sont souvent spéculatives, les monnaies locales sont encadrées par le Code monétaire et financier, ainsi que par la loi sur l’ESS de 2014 . Elles sont subordonnées à une charte éthique à laquelle les professionnels doivent adhérer. »
L’objectif : développer l’économie locale en favorisant les commerces et services de proximité. Les monnaies locales ne peuvent être épargnées et produire des intérêts. Cependant, elles possèdent une date de validité, et passé un certain délai, perdent de la valeur. On parle alors de monnaie fondante. En Gironde, un particulier ne peut reconvertir ses Miel en euros. Car le but, rappelle Yannick Lung, c’est que « la monnaie soit en circulation ». En revanche, les professionnels peuvent le faire, moyennant une commission.