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Migrants réduits en esclavage en Libye : pourquoi l’Europe est complice
Article mis en ligne le 22 novembre 2017

Après les détentions arbitraires, les tortures et les viols, voici les marchés aux esclaves. La Libye est progressivement devenue un enfer pour les migrants qui tentent leur chance vers l’Europe. Un enfer alimenté par les financements de l’Union européenne qui a accordé plusieurs millions d’euros aux garde-côtes libyens et aux « autorités » du pays, dont les exactions sont pourtant dénoncées par les grandes organisations des droits humains. Va-t-on laisser l’Europe conduire une politique qui consent à la torture, au viol et désormais à la mise en esclavage d’individus ?

Le navire sur lequel Lansana, 14 ans, tente de traverser la Méditerranée est arraisonné par l’une des marines libyennes. On le jette dans une prison à Sabratha, sur la côte, entre Tripoli et la Tunisie. Lors d’une tentative d’évasion collective, quelques semaines plus tard, matons et habitants se livrent à une véritable chasse à l’homme. Lansana prend la fuite avec deux autres adolescents, un Sénégalais et un Sierra-Léonais. « Ils les ont tués devant moi. C’est la première fois que j’ai vu des gens mourir. »

Mamadou, 16 ans, travaille dans un centre commercial libyen. Un jour il tombe d’épuisement. Le contremaître arme son pistolet et le place sur sa tempe. « Relève-toi ou je te tue. » Quelques semaines plus tard, sa première traversée se solde par un naufrage. Quand il rejoint la plage, des miliciens violent devant lui la seule fille parmi les rescapés. Souleymane, 15 ans, est séparé de son frère aîné sur la plage. Il n’a plus de nouvelles depuis.

Au moins 30 000 personnes tuées depuis 2014

Ce sont là quatre histoires banales de mineurs isolés arrivés en Europe par leurs propres moyens. Pour deux d’entre eux au moins, les séquelles psychiques se traduisent par des insomnies répétées, des difficultés de concentration, de la nervosité, des tics. Les séquelles physiques – cicatrices, dents cassées, fractures – sont monnaie courante, les traumatismes sexuels aussi - systématiques pour les femmes, fréquentes pour les hommes.

Pour quiconque est familier de ces récits, la déclaration d’un responsable de l’Organisation internationale des migrations, le 12 octobre dernier, n’a guère de quoi surprendre, malheureusement (...)

Les marchés aux esclaves, aboutissement d’une longue suite de violations des droits humains

Le reportage tourné fin octobre 2017 et diffusé sur CNN à la mi-novembre fait basculer en quelques heures les médias français de l’indifférence à l’emballement. On y voit un marché aux esclaves où des hommes sont vendus pour quelques centaines de dollars. Les enquêteurs évoquent une liste non exhaustive de neuf localités où la présence de ventes aux enchères est attestée. Elles dessinent une trajectoire qui part de la frontière algéro-libyenne, au sud de la Tunisie pour remonter jusqu’à la côte, vers Tripoli et ses environs. C’est la route empruntée par des milliers de migrants venus d’Afrique de l’Ouest - Guinée, Mali, Côte d’Ivoire... - plus fragiles encore que les Soudanais arabophones. Ce qui est montré là est une réalité relativement nouvelle, dénoncée entre autres choses au printemps par l’Organisation internationale des migrations et l’année précédente par le photographe mexicain Narciso Contreras, exposé au festival de Perpignan. (...)

En 2016, le programme Eunavfor Med, rebaptisée Sophia, est renforcé. Il vise à l’origine à capturer les embarcations de transports de migrants sur la Méditerranée. La mission d’entraîner les gardes-côtes libyens y est intégrée. (...)

Pour la Commission européenne, il s’agit d’« accélérer le soutien aux garde-côtes libyens ». Un financement immédiat d’un million d’euros est accordé à cet objectif le 25 janvier 2017, et 2,2 millions supplémentaires sont prévus. Ces financements sont décidés dans le cadre d’une enveloppe globale de 200 millions d’euros pour ce que la Commission européenne appelle la « fenêtre nord-africaine », avec une « priorité accordée aux projets liés à la migration concernant la Libye »... (...)

La violence et l’irresponsabilité de ces mêmes garde-côtes libyens sont dénoncées par les grandes organisations de défense des droits humains, Amnesty International ou Human Right Watch. Dès juin, Amnesty appelle ainsi l’Europe à « mettre un terme à toute coopération avec les autorités libyennes qui mène au renvoi de réfugiés et de migrants vers la Libye, où ils risquent d’être soumis à la détention illimitée, à la torture, au viol et à d’autres violations de leurs droits ». Qu’importe, l’argent des Européens continue de financer directement ou indirectement les exactions des autorités libyennes, et à alimenter un nouveau marché de l’interception de migrants, de leur commerce aussi, désormais.

Les conséquences criminelles de l’externalisation des frontières européennes

En juillet 2017, un nouveau programme visant à aider l’Italie à contrôler les flux de migrations venues de la Libye, prévoit d’allouer 46 millions d’aide aux gardes-côtes et garde-frontières libyens. Les autorités de l’UE placent aussi les ONG de sauvetage en mer sous pression, en voulant les soumettre à un nouveau code de conduite, pour leur interdire notamment d’entrer dans les eaux territoriales libyennes. Ce sont pourtant ces ONG qui sauvent le plus de vies en Méditerranée, davantage que l’Agence de protection des frontières Frontex et que les gardes-côtes italiens (...)

En plus de sa coopération avec les gardes-frontières libyens, l’Union européenne a lancé depuis trois ans une série d’accords avec des pays d’Afrique comme le Soudan ou le Niger, pour retenir les migrants sur le sol africain (...)

En conséquence, le nombre d’arrivées en Italie a baissé drastiquement l’été dernier, avant de reprendre de plus bel à l’automne. Mais cette collaboration a partout des conséquences criminelles (...)