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Libération
Migrants : des mineurs isolés plus seuls que jamais
Article mis en ligne le 29 décembre 2018

Dispositifs saturés, afflux de demandes, manque de moyens, stratégie de dissuasions… Les associations et travailleurs sociaux rencontrent toujours plus de difficultés pour accompagner les migrants de moins de 18 ans, censés être accueillis sans condition. Un système qui met des vies en danger.

A la mairie de Paris, on s’accorde au moins sur un point : le dispositif est bien saturé : alors que 1 500 personnes s’étaient présentées pour une évaluation en 2015, les projections pour 2018 montent à 8 000. De nouveaux crédits pour embaucher des évaluateurs doivent être débloqués, précise la mairie. (...)

parcours dantesque des mineurs non accompagnés (MNA) en France. Le 26 septembre, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a d’ailleurs adopté une résolution où il notait que la France violait la Charte sociale européenne en raison des « carences relevées dans le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs non accompagnés », de « l’insécurité juridique entourant l’accès à un recours effectif des mineurs étrangers non accompagnés » ou encore de l’utilisation des tests osseux utilisés dans le but de prouver l’âge de la personne.

(...)

« Les contrôleurs ont relevé que des mineurs isolés interpellés sur le territoire ont été renvoyés vers l’Italie alors qu’ils ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une mesure d’éloignement. » Ensuite, il faut que la minorité soit reconnue, ce qui n’est pas une mince affaire. La saturation des dispositifs mène des jeunes - surtout des garçons, les rares filles étant plus facilement mises à l’abri - à patienter jusqu’à deux mois, au lieu des cinq jours légaux. (...)

Le département met en avant l’inadéquation entre le nombre de personnes qui se présentent et le manque de moyens humains, mais le droit dit qu’il faut les mettre à l’abri, et ce n’est pas toujours le cas ». Des familles abritent alors quelque temps ces adolescents ou se cotisent pour payer des nuits d’hôtel. Utopia 56 a monté cet été un camp à Saint-Pierre-des-Corps où jusqu’à 60 jeunes ont pu se reposer. Reste que les citoyens ne sont pas là pour pallier les défaillances de l’Etat, juge Morgan. Jean-Gérard Paumier, président du conseil départemental d’Indre-et-Loire, le reconnaît : le délai de cinq jours prévu par la loi n’est plus tenable en raison selon lui du « flux important d’arrivées. Rien qu’en septembre, 202 personnes sont arrivées, contre 51 l’année d’avant ». L’élu est clair : « On a dû prendre une location à l’année dans un hôtel. On essaye de trouver des familles pour héberger. Depuis janvier, on a créé 17 postes pour renforcer l’accueil. »

« Prétextes »
En Touraine, un tiers des évalués sont reconnus mineurs dans un premier temps. Une proportion similaire à Paris, même si les associations estiment qu’une personne sur deux déposant un recours devant la justice finit par être reconnue mineure. « Le problème, c’est que l’on suspecte que les gens ne sont pas mineurs. Tant qu’il n’est pas prouvé qu’ils le sont, on les laisse à la rue. Or le doute devrait profiter au jeune », (...)

« On leur demande de revenir avec leurs papiers d’identité authentifiés. Mais où a-t-on vu qu’un mineur peut aller faire authentifier ses papiers lui-même ? On ne leur donne pas de ticket de bus pour y aller, on ne leur explique pas comment faire », rapporte la responsable syndicale dans les Hauts-de-Seine. Un rapport de Human Rights Watch publié cet été dénonçait ce même genre de pratique, à Paris. Conséquence, lorsque les enfants arrivent à se faire prendre en charge, c’est souvent trop tard. (...)

Jusqu’ici, « des jeunes sont déclarés mineurs dans un département, et majeurs dans un autre », explique encore Philippe Lecorne. A partir de janvier, un fichier biométrique national, dénoncé par de nombreuses associations et par le Défenseur des droits, rendra difficile de tenter sa chance plusieurs fois. Toute personne demandant à être reconnue mineure sera enregistrée, avec photo et empreinte, dans un fichier - dont elle devrait disparaître si elle est reconnue mineure. Les personnes non reconnues mineures, elles, devraient être systématiquement ajoutées au fichier Agedref, qui recense les étrangers en France. Elles pourraient alors être expulsables même si une procédure de reconnaissance de minorité devant la justice est en cours. Pour Dominique Versini, ex-Défenseure des enfants et actuelle adjointe à la maire de Paris en charge des solidarités et de la lutte contre l’exclusion, « le futur décret [créant le fichier national] est attentatoire aux droits de l’enfant. Notre rôle, c’est la protection de l’enfance, pas de faire le travail du ministère de l’Intérieur ».

Associations et travailleurs sociaux dénoncent aussi des stratégies de dissuasion. (...)

Une responsable de la CGT au conseil départemental des Hauts-de-Seine abonde : « On éjecte les jeunes qui ont le moins les moyens de se défendre car ils n’ont pas de parents sur le territoire. On trouve des prétextes, comme avoir des doutes sur leur récit. Mais en protection de l’enfance, on sait travailler avec la distorsion de réalité. Mentir n’est pas une raison pour ne pas protéger un enfant. » Philippe Lecorne ne dit pas autre chose : « On essaye de trouver des arguments pour filtrer, comme les tests osseux [sur décision de justice, ndlr] qui donnent l’impression d’être objectifs mais ne le sont pas. »

Le Haut Conseil de la santé publique, l’ordre des médecins, mais aussi le Défenseur des droits, ne lui donnent pas tort. (...)

Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, Jean (1) a carrément démissionné de son poste d’éducateur. Dégoûté. (...)