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Slate.fr
« Mignonnes » pointe du doigt l’impossible combat contre la sexualisation des jeunes filles
Article mis en ligne le 25 août 2020
dernière modification le 24 août 2020

Mignonnes, film de Maïmouna Doucouré primé au festival Sundance 2020, vient à peine de sortir qu’il doit déjà essuyer une polémique violente –et totalement inutile.

La faute à la plateforme américaine de Netflix, qui a choisi, pour promouvoir le film qu’elle diffusera à la rentrée aux États-Unis, une affiche très différente de celle prévue pour le public français : sur l’image, on voit les quatre héroïnes du film, des collégiennes de 11 ans, dans des tenues moulantes et des poses lascives. Un choix iconographique maladroit quand on n’a pas vu le film, qui a immédiatement interpellé.

Les réseaux sociaux étant ce qu’ils sont (le septième cercle de l’enfer), tout a dégénéré : quelqu’un qui n’a vraisemblablement pas regardé l’œuvre a créé une pétition affirmant qu’elle promouvait la pédopornographie et des hordes d’internautes ont harcelé la réalisatrice, à tel point que cette dernière a supprimé son compte Twitter.

Une polémique dont Maïmouna Doucouré se serait sans doute bien passée à la sortie de son premier long-métrage, d’autant plus navrante qu’elle passe totalement à côté du véritable propos du film. Loin de promouvoir l’hypersexualisation des jeunes filles, Mignonnes la décortique et la pointe du doigt. (...)

Récit initiatique

Le film, en salle depuis le 19 août, suit l’évolution d’Amy, une collégienne qui fait la découverte de son corps et de sa féminité, notamment à travers une troupe de danse. Amy est une jeune fille timide, qui doit « tout faire pour faire plaisir à sa mère », comme on lui fait remarquer au début du film. (...)

Pour préparer le film, Maïmouna Doucouré a passé un an et demi « à enquêter auprès de petites filles », et cette attention au détail se ressent dans son film, qui dresse un portrait incroyablement fin et réaliste des turbulences de l’adolescence. (...)

Beaucoup d’entre nous ont connu ce moment où, à l’âge de 11 ou 12 ans, un homme nous a pour la première fois jaugée d’un air lubrique. À cet instant, on cesse d’être une petite fille et on entre dans un nouvel âge, celui où notre corps devient un objet, un morceau de chair que les hommes peuvent reluquer à l’envi.

Mignonnes décrit ce moment de basculement entre l’enfance et l’adolescence, où le corps et l’esprit sont encore trop jeunes, mais où l’objectification et l’exploration de la sexualité démarrent déjà. (...)

Loin d’objectifier ses personnages, Mignonnes décortique au contraire les mécanismes qui mènent à cette hypersexualisation : les clips de RnB, la mode et les magazines, au même titre que l’envie d’appartenir à un groupe, de s’émanciper et de plaire selon les seuls codes qui nous sont accessibles en tant que jeunes filles.

Amy et ses copines comprennent rapidement que leur corps a un effet sur les hommes, qu’il est devenu une denrée, et elles apprennent à s’en servir lorsqu’il le faut. Oui, c’est triste, mais on se bat avec les armes qu’on a. (...)

Injonctions contradictoires

Tout au long du film, Amy doute et s’interroge, car elle est tiraillée entre deux modèles insatisfaisants : les valeurs traditionnelles de sa famille d’un côté et la rébellion adolescente, avec tous les risques qu’elle comporte, de l’autre.

Amy est perçue au début comme une fillette trop sage, voire coincée, mais lorsqu’elle tente de suivre le modèle dominant, elle est également rejetée, considérée comme une traînée. Au jeu des injonctions contradictoires, les jeunes filles ne peuvent jamais gagner. (...)

C’est une grande œuvre, et elle ne mérite pas d’être résumée à une pauvre affiche mal sélectionnée par une plateforme de streaming.