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Michel Zecler, l’injustice jusque dans sa chair
Rester debout Michel Zecler, Plon, 256 pages, 19 euros.
Article mis en ligne le 5 décembre 2021
dernière modification le 4 décembre 2021

Les images de son tabassage, il y a un an, ont fait le tour du monde. Pour poursuivre sa reconstruction, le producteur de rap a pris la plume. Portrait d’un homme, blessé mais « debout ».

H eureusement, il y a les images », écrit-il dans son livre. Sans ces images vidéo, filmées par la caméra de surveillance de son propre studio, Michel Zecler serait aujourd’hui, à coup sûr, en prison. Lourdement condamné pour « outrage », « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique », censément pour avoir voulu séquestrer des fonctionnaires de police et leur dérober leurs armes de service. Bref, un voyou à la peau noire, « connu des services de police », avec des antécédents judiciaires… Évidemment, le ministre de l’Intérieur n’aurait pas manqué d’exprimer sa solidarité avec ces policiers, soulignant leur dévouement et leur exemplarité. Et leurs affirmations, dûment consignées dans des procès-verbaux – qu’ils auraient rédigés eux-mêmes ou dictés à l’un de leurs collègues –, passeraient en boucle sur CNews…

Reprenons. Michel Zecler a accepté de recevoir Politis. Dans les locaux mêmes où se sont déroulés les faits, là où il travaille toujours aujourd’hui. Dans cette petite rue du côté chic du dix-septième arrondissement de Paris, aucune enseigne n’indique son studio, pourtant bien connu de la plupart des rappeurs parisiens. On hésite un instant devant plusieurs portes, puis on remarque, au centre de l’une des vitrines, « un cratère de deux centimètres de diamètre environ, enveloppé de fêlures partant dans toutes les directions, comme un impact de balle, taillé là par les coups de matraque télescopique ». C’est ici que, le 21 novembre 2020, la vie du producteur de rap va être bouleversée en quelques minutes. Un an après, il livre, brut, à la première personne – et, on doit le souligner, sans l’aide d’un journaliste ou d’un écrivain, comme c’est souvent le cas pour ce type d’ouvrages – son témoignage. Mais prendre la plume est aussi pour lui l’occasion de se retourner sur son parcours, depuis sa petite enfance en Martinique (...)

Physiquement, le producteur de rap aurait pu se défendre davantage ; il s’y est refusé. Pratiquant depuis longtemps judo et taekwondo, un bon 1,90 mètre, près de 90 kilos, Michel est aussi copain avec des policiers et des gardiens de prison ; ils s’entraînent ensemble dans une salle de sports de combat, non loin de là. C’est là qu’il a découvert, avec certains d’entre eux, le krav maga, une redoutable discipline « défensive-offensive », plutôt violente, qui s’est développée en Israël, héritière des techniques des groupes d’autodéfense des juifs d’Europe orientale contre les pogroms antisémites depuis la fin du XIXe siècle.

Cette mésaventure lui a fait ouvrir les yeux, il regrette de ne pas s’être intéressé plus tôt à la politique.

Que l’on ne se méprenne donc pas : Michel Zecler est à cent lieues d’un militant antifa qui hurlerait sans cesse « Acab » (« All cops are bastards », tous les flics sont des bâtards). C’est un homme plutôt discret, pudique assurément, calme, réservé. Cette mésaventure lui a fait ouvrir les yeux, il regrette aujourd’hui de ne pas s’être intéressé plus tôt à la politique. La seule révolte qui ne le quitte plus depuis, c’est celle contre l’injustice, les violences policières et les abus de pouvoir. Comme lorsque les flics ont bidouillé les procès-verbaux, racontant n’importe quoi. Ou lorsque son passé s’est étalé soudain dans les journaux, certains policiers ou syndicats de policiers l’ayant sans doute, sans qu’il puisse le prouver, fait fuiter. Passé dont il n’est pas fier. Car des vols l’ont conduit, il y a plus de vingt ans, à faire de la prison. Des actes pour lesquels il a payé sa dette à la société. Un passé dont il ne parlait jamais et dont il se veut le plus loin possible aujourd’hui.

Or certaines déclarations du ministre de l’Intérieur le laissent interdit. Comme lorsque Gérald Darmanin, quelques semaines après le décès de Cédric Chouviat, ce livreur mort asphyxié sous le poids d’un policier, dans des circonstances quasi similaires à celles de la mort de George Floyd à Minneapolis, déclare : « Quand j’entends les mots “violences policières”, je m’étouffe »… Ou quand le même ministre, après la diffusion des images de l’agression de Michel Zecler, a dû déclarer : « Il faudra sanctionner, si des policiers ont déconné. » « Déconner ! Étrange choix des mots… », nous confie la victime. Et en tant que citoyen d’origine martiniquaise, il ne peut que s’interroger sur la pertinence d’envoyer le Raid et le GIGN contre un mouvement social et, certes, des émeutes, dans ces Antilles françaises au passé de violence coloniale. (...)