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La vie des idées
Médecines du corps noir
Article mis en ligne le 1er mai 2018
dernière modification le 30 avril 2018

Florissante, l’histoire des rapports entre race et de santé s’est récemment tournée vers les origines de la médecine aux États-Unis et le rôle décisif que les esclaves africains, morts ou vivants, y ont joué. Une histoire à leur corps défendant et dont pourtant leurs voix émergent.

Les 23 et 24 février 2018, à l’université de Rice, à Houston au Texas, s’est tenu le tout premier colloque international consacré à l’histoire de la médecine dans le contexte de l’esclavage dans les Amériques [1]. Le colloque rassemblait aussi bien des historiens et des américanistes travaillant principalement sur une période allant de l’ère esclavagiste (XVIIIe-XIXe siècles) jusqu’au début du XXe siècle, que des acteurs de la société civile et membres d’organisations de défense des droits civiques s’intéressant particulièrement aux liens que ces recherches historiques peuvent présenter avec les luttes contre les discriminations « raciales » dans le domaine de la santé aujourd’hui, aux États-Unis. (...)

Longtemps pensées comme marginales par rapport aux travaux plus généralistes d’histoire économique et sociale traitant des sociétés esclavagistes, les études historiques sur la race et la médecine ont connu un renouveau tout particulier depuis les années 2000, avec la publication de nombreux ouvrages et articles éclairant à la fois les relations entre le développement de l’esclavage aux États-Unis et l’émergence de nouvelles pratiques et théories médicales déployées majoritairement par des médecins blancs pour traiter les corps noirs sur les plantations (Willoughby, 2017 ; Kenny, 2011), les expérimentations sur les corps des esclaves par les médecins blancs, mais aussi la mise en place, par les esclaves et leurs descendants, pendant et après l’esclavage, de pratiques médicales alternatives et de soins auto-administrés, souvent désignés comme illégitimes par les médecins qui, eux, pratiquaient une science de tradition euro-centrée (Long, 2016 ; Fett, 2002 ; Schiebinger, 2017). Ce nouveau champ de recherche saura intéresser à la fois les philosophes, les sociologues et les historiens de la médecine et des sciences, mais aussi les sociologues des relations inter-ethniques et les historiens des minorités raciales et sexuelles, puisqu’il permet de penser les relations de domination et de subjectivation des corps marginalisés avec les processus de médicalisation et d’essentialisation du social dont ils font l’objet. (...)

Faisant l’histoire des expérimentations médicales, du développement de la science médicale aux dépens des corps noirs, mais aussi des pratiques de résistance des esclaves confrontés à l’objectivisation de leurs propres corps, leurs travaux viennent nourrir une réflexion d’actualité en révélant les relations de pouvoirs inhérentes à la production des savoirs médicaux. Ils mettent en évidence le rôle décisif d’un corps noir créé par le marché et la médecine dans la rigidification de la hiérarchie raciale aux États-Unis. (...)

L’auteure s’appuie sur une littérature qui s’intéresse tout particulièrement aux conditions de vie des femmes noires esclaves, ainsi qu’aux violences sexuelles et à la reproduction (Fett, 2002 ; McGregor, 1998). La médecine reproductive était essentielle au maintien et au succès de l’esclavage. Les observations médicales des docteurs, qui étaient pour la plupart des hommes blancs issus de l’élite sociale, économique et intellectuelle de la région, affectaient le flux des marchés aux esclaves du pays : ils décidaient du prix de chaque femme vendue, en fonction de ses qualités reproductives. Cependant, le corps des esclaves n’était pas seulement apprivoisé en tant que capital économique par les planteurs blancs, mais aussi comme capital « médical » par les médecins qui souhaitaient améliorer leurs pratiques scientifiques. (...)

Les corps des femmes noires et irlandaises furent tour à tour conçus comme « étranges et pathologiques » (« strange and pathological », p. 106), sur un continuum allant de la pauvreté, à la blackness. Coexistaient ainsi des croyances médicales qui affirmaient l’existence de différences biologiques inhérentes entre Blancs et Noirs, et le recours à des expérimentations médicales par les docteurs blancs sur les corps noirs afin de faire fructifier une science d’application universelle. Autre paradoxe : les médecins concevaient, simultanément, le corps des esclaves comme naturellement voué au travail, et donc particulièrement sain, d’un point de vue physique, tout en le pensant comme biologiquement inférieur. (...)