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Sauvons la médecine du travail
Médecine du travail : un article 19 plutôt cavalier
Article mis en ligne le 22 juin 2015

Le 22 avril 2015, lorsque M. F. Rebsamen, ministre du travail, dépose à l’Assemblée nationale le projet de loi dit du dialogue social et de l’emploi, son article 19 comporte 3 items (I, II, & III). Il « fait » 628 caractères espaces compris. Les mots « médecin » ou « médecine du travail » n’y figurent pas, et il ne concerne que le compte pénibilité. Le 2 juin 2015, quand la loi est adoptée par les députés en vue de sa transmission au Sénat pour le 22 juin, l’article 19 s’est gonflé. Il prend maintenant 8 195 caractères espaces non compris, et comporte 15 nouveaux articles. Presque tous concernent l’aptitude en médecine du travail et sont sans rapport avec le reste du texte de loi.

On doit ce tour de passe-passe au travail du député Michel Issindou (MI), du ministre lui-même et du député Christophe Sirugue (CS) rapporteur. M. Issindou est aussi le corédacteur du rapport sur l’aptitude et médecine du travail commandé par le ministre et qui vient de lui être remis le 18 mai. Il n’est rendu public que le 25, soit 3 jours avant la discussion de la loi à l’assemblée. Comme ce rapport fait des propositions qui mettent à bas la médecine du travail et mécontente la majorité des intervenants concernés (salariés, syndicats et employeurs), la bande des trois décide d’en introduire les dispositions les plus stratégiques dans la loi en cours de discussion. C’est un moyen simple d’éviter les incertitudes de la discussion. Le député M. Issindou se précipite donc pour déposer, défendre et faire adopter l’insertion, dans l’article 19 de la loi, de plus de 5 amendements sans rapport avec le reste du texte. Ce procédé s’appelle un cavalier législatif. Il est habituellement sanctionné par le Conseil Constitutionnel quand il est saisi notamment par un élu. Les députés ont évidemment soulevé cette question lors de la discussion du texte. (...)

Mais il y a plus grave, car profitant du fait que les députés n’ont matériellement pas pu prendre connaissance du rapport, M. Issindou fait adopter des textes, sans en préciser ni le contexte, ni les motivations, ni les implications, ni les conséquences. (...)

Si la loi était promulguée, cet amendement permettrait à l’employeur de négocier les conditions du licenciement pour inaptitude médicale pendant l’arrêt de travail à partir des préconisations que lui fournirait le médecin du travail lors de la visite de pré-reprise, et ce, avec ou sans l’accord du salarié exigé actuellement2. Il est certain que, dans ces conditions, le souhait de M. Issindou « que le lien de confiance entre le médecin du travail et le salarié se renforce » serait comblé.

L’amendement n°515 complète le précédent. Il modifie le III de l’article L. 4624-3. Il s’agit pour M. Issindou que toutes « Les propositions et les préconisations du médecin du travail et la réponse de l’employeur, prévues aux I et II du présent article », soient non plus « tenues, à leur demande, à la disposition » mais « transmises au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, aux délégués du personnel, à l’inspecteur ou au contrôleur du travail, au médecin inspecteur du travail ou aux agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale ». Compte tenu du champ couvert par le II de l’article, ce sont toutes les activités du médecin du travail qui sont concernées3. Mme I. Le Callennec s’inquiète de « la transmission d’informations qui concernent un salarié et relèvent du secret médical » à des délégués du personnel. C’est encore plus inquiétant pour l’employeur. Il est de même pour l’inspecteur ou le contrôleur du travail. Elle a raison de s’inquiéter car l’amendement concerne des données individuelles personnelles dont la divulgation ne peut que violer le secret médical. (...)

les salariés qui ne sont affectés ni à des postes de sécurité, ni à des travaux dangereux n’auront pas de surveillance médicale. On leur propose dans le rapport une caricature de suivi médical n’offrant aucun bénéfice ni aux salariés, ni à leur employeur. Les travailleurs n’auront aucune raison de se prêter à ce simulacre médico-social, les employeurs aucune raison de le financer.

Pour les salariés en poste de sécurité, c’est une nouvelle entité médico-légale qui apparaît : l’aptitude sécuritaire qui ne sert qu’à protéger les entreprises et les investissements aux dépens des hommes. Cette aptitude au poste, au métier, au risque, sera le fait de médecins spécialisés qui seront différents des médecins du travail. Malheur au travailleur qui perdra son aptitude. Pour les salariés exposés à des risques particuliers, c’est une surveillance de leur exposition qui leur est proposée. Cela n’a plus rien à voir avec la prévention des risques professionnels. Enfin le recours à un décret en Conseil d’État pour « déterminer les modalités d’identification des salariés en cause » est particulièrement inquiétant.

Le rapport sur aptitude et travail est à peine entré dans nos bureaux que déjà, ses dispositions les plus destructrices sont dans la loi. Votées dans l’urgence, sans explication claire ni loyale, elles seront mises en pratique si elles ne sont pas dénoncées. D’abord au motif d’un cavalier législatif, ensuite du fait de l’absence de discussion loyale et d’information des représentants du peuple. Ils ne peuvent tout connaître, mais on doit leur présenter des choix clairs dans le cadre de débats loyaux. L’article 19 de la loi sur le dialogue social et l’emploi doit être abrogé.