
En vacances pour quelques jours en France cet été, je fus étonné du silence médiatique sur le tremblement de terre du 11 mars, le tsunami et la catastrophe nucléaire sans précédent au Japon. Pourtant, les médias occidentaux n’avaient pas lésiné sur la couverture du plus grand désastre du pays depuis Hiroshima et Nagasaki en 1945. Mais d’autres événements ont rejeté dans l’oubli une catastrophe qui, au Japon où je suis rentré, continue de faire la Une des quotidiens. Avec son lot de nouvelles, guère faites pour rassurer sur le futur proche.
Ainsi M. Christopher Busby, responsable scientifique au Comité européen des risques sur les radiations, a déclaré qu’à cent kilomètres de la centrale de Fukushima et même jusqu’à l’agglomération de Tokyo, les niveaux de radioactivité sont bien plus élevés que ne le disent les autorités japonaises en charge du dossier Fukushima. On aurait détecté dans la capitale même, en quelques endroits précis, des niveaux de radioactivité supérieurs à ceux de la zone d’exclusion de Tchernobyl ! Tokyo Electric Power Company (Tepco) a reconnu le 15 août que 200 millions de becquerels s’échappaient chaque heure des réacteurs 1, 2 et 3 de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Entre mars et fin juillet, les rejets totalisaient 1 milliard de becquerels par heure, toujours d’après Tepco.
Selon un comité scientifique affilié au gouvernement japonais (mais ce dernier ne reconnaît pas ses résultats), les rejets de césium des réacteurs de la centrale de Fukushima depuis mars sont égaux en volume à 168 fois ceux d’Hiroshima en août 1945 – comparaison fréquemment utilisée ici. Après les rejets massifs en mars, les vents, les pluies, le ruissellement ont dispersé d’importantes quantités d’isotopes aussi bien à l’ouest (Niigata), qu’au centre (Nagano), ou qu’à Tokyo. (...)
Bref, de jour en jour, le citoyen ordinaire apprend que la situation est loin d’être sous contrôle. Malgré, il faut le reconnaître, un gros travail de Tepco. Avec des employés du groupe français Areva, l’entreprise cherche des solutions pour refroidir les réacteurs et commencer à envisager la construction des dômes de béton qui devraient un jour devenir le tombeau de ces réacteurs, dans dix ou quinze ans, quand ils seront définitivement décontaminés.
Dès mon retour à Tokyo, je ressens l’angoisse qui règne autour de moi, dans ce petit restaurant de quartier, par exemple, où l’on m’a vu arriver avec plaisir. Ouf, le Français n’a pas déserté ! (...)
De toute évidence, la menace pèse. A la télévision, on évoque un vieux projet, celui de la décentralisation de la capitale. En effet, si un tsunami ou une irradiation venue d’une centrale s’abattaient sur la capitale, rien ne pourrait être fait pour évacuer cette mégalopole de 35 millions d’habitants qui a atteint ses limites dans la concentration et dans l’étendue. Le tremblement de terre du 11 mars rappelle à chacun combien le gigantisme pourrait devenir un handicap. L’engorgement des transports en commun obligea les gens à dormir dans les gares, ou à rentrer à pied chez eux dans la nuit, à marche forcée pendant parfois plus de dix heures. Tout se déroula dans l’ordre. Mais que se passerait-il si le séisme, au lieu de se produire à des centaines de kilomètres, se déclenchait à proximité de Tokyo ? Dès le 14 avril, le journal Sankei a évoqué une réunion bipartite afin d’envisager la désignation de capitales auxiliaires (fukutoshin) qui pourraient en cas de désastre, se substituer à Tokyo.
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La vie quotidienne s’organise – non sans méfiance, notamment au sujet de la nourriture. L’eau en bouteille, qui avait manqué pendant des semaines, est revenue dans les supérettes. Le rejet massif de l’eau de mer qui avait servi à refroidir les réacteurs a mis à bas une bonne partie de la pêche dans le littoral ; celle-ci représente 20 % de la production nationale. Les sols sont également atteints dans cette région, le Tôhôku, surnommé « le grenier du Japon », où l’agriculture compte pour 80 % du PIB. Les légumes et le bœuf – contaminé par le fourrage – ont été vendus et consommés à Tokyo. Même le riz, aliment indispensable, à forte valeur nationale et même religieuse – comme le pain dans le monde chrétien –, présente une légère contamination. S’il devenait impropre à la consommation, les conséquences économiques, mais aussi psychologiques, seraient considérables. (...)
Organisés à la base en comités, les Tokyoïtes tiennent désormais des manifestations importantes contre le nucléaire comme je n’en avais jamais vu jusque-là. 60 000 personnes, parmi lesquelles Kenzaburo Oe (prix Nobel de littérature), ont convergé lundi 19 septembre – jour férié – vers les parc Meiji, attaquant dans leurs slogans un gouvernement qui pour eux ne cesse de mentir, et n’aurait nullement l’intention de changer de cap en matière énergétique. En plus de ces manifestations qui se multiplient, il faut compter les réseaux sociaux, les sites Internet qui taillent des croupières aux médias traditionnels – lesquels ne sont plus les seuls dépositaires des idées politiques, sociales et culturelles.
La révolte contre le nucléaire vient d’en bas, et elle pointe les lacunes d’une classe politique qui, tous partis confondus, forme avec les grandes entreprises privées et la haute administration, le triangle de fer, une forteresse quasi imprenable, favorable à la poursuite de la politique nucléaire.
La morgue de certains hommes politiques laisse pantois. (...)
Quant à la France, son image avait été écornée après le départ précipité de nombre de ses ressortissants sur des vols Air France affrétés par le gouvernement ou vers le sud du Japon, laissant ainsi à leur sort les employés japonais de leurs sociétés.
(...) Wikio