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Maintien de l’ordre : la lettre de Grimaud, le télégramme de Cazeneuve
Article mis en ligne le 1er mai 2016

Indifférent aux nombreux témoignages sur les violences policières, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a transmis aux préfets un télégramme de fermeté face aux manifestations sociales et aux rassemblements des « Nuit Debout ». Le comparer avec la lettre individuelle envoyée, en Mai 68, à tous les policiers par le préfet de police de Paris Maurice Grimaud, c’est prendre la mesure de la déliquescence de l’Etat sous cette République finissante.

Depuis la mort en 2014 de Rémi Fraisse, tué à Sivens par un grenade offensive alors qu’il s’avançait les bras levés, inoffensif et pacifique, face aux forces de gendarmerie, nous savons que l’actuel tenant du ministère de l’intérieur tombera de préférence du côté d’un ordre injuste plutôt qu’il ne sera sensible aux injustices qui sont cause de désordres. Son trop long silence alors, ses mots manquants ou dérisoires, tardifs et pauvres, ses excuses absentes resteront comme la marque d’un pouvoir qui, sans états d’âme aucun, tourna le dos à la jeunesse dont il avait prétendu faire sa promesse, durant la campagne présidentielle de 2012.

Confronté depuis plus d’un mois à un mouvement social inédit, associant manifestations régulières et rassemblements quotidiens, ce même pouvoir, en son expression policière, confirme son penchant répressif, plus prompt à libérer la force qu’à la retenir. Alors que les témoignages, documentés par de nombreuses vidéos (un dernier exemple ici sur Mediapart), attestent de la disproportion de violence entre les ripostes des forces dites de l’ordre et les comportements des manifestants, dont l’immense majorité est pacifique ; alors qu’un abîme sépare ces manifestants, massivement inexpérimentés et désarmés, d’unités professionnelles aux équipements protecteurs et aux armes dangereuses, potentiellement létales selon leur usage ; alors qu’à Rennes, un jeune étudiant vient de perdre un œil sans doute sous un tir de flash-ball ; bref, alors que la question de l’usage disproportionné et illégitime de la force par des policiers et des gendarmes est publiquement posée, le ministre de l’intérieur a adressé, samedi 30 avril, un télégramme à tous les préfets dont « les violences qui se développent en marge des manifestations revendicatives, voire des rassemblements “Nuit Debout” » sont le seul objet.

Chacun-e peut en juger puisque son texte intégral est disponible ici (...)

Les rassemblements « Nuit Debout » et les manifestations « #LoiTravailNonMerci » étant appelés à durer face à l’entêtement du pouvoir, la question du maintien de l’ordre va devenir un enjeu en soi – d’information, de droit, de justice, de solidarité, de convergence, etc. Et ceci d’autant plus que le pouvoir risque fort de parier sur les violences, leur exacerbation provocatrice, leur exploitation médiatique, voire leur manipulation politicienne, afin de faire diversion pour gagner un peu de survie dans la profonde crise de légitimité qui le mine et le divise.

Dans ce contexte, il n’est pas inutile, il est même instructif de comparer le télégramme de Bernard Cazeneuve en 2012 à la lettre de Maurice Grimaud en 1968. Préfet de police de Paris sous le règne du général de Gaulle, fondateur de la Cinquième République, ce fonctionnaire et intellectuel de gauche avait succédé en 1966, à ce poste, au sinistre Maurice Papon dont le nom reste associé aussi bien à Vichy qu’à la guerre d’Algérie, aux déportations antisémites comme aux répressions coloniales. Responsable du maintien de l’ordre à Paris durant le mois de mai 1968, Maurice Grimaud (1913-2009, sa biographie est ici) sut, par ses consignes écrites aux unités comme par sa présence physique sur le terrain, éviter le pire alors même que les premières manifestations étudiantes étaient autrement déterminées qu’elles ne le sont aujourd’hui, se traduisant par une « nuit des barricades ».

Relire, à quarante-huit ans de distance, la lettre que Maurice Grimaud adressa, le 29 mai 1968 – soit après un petit mois de manifestations –, individuellement, à chaque policier, c’est prendre la mesure de la déliquescence de l’Etat sous cette Cinquième République aujourd’hui finissante. Quand il y avait, hier, de la hauteur, sinon de la grandeur, cette force de refuser l’usage inutile de la force, il n’y a plus, aujourd’hui, au sommet de l’Etat, que cette peur des faibles dont l’amour de la force est l’expression la plus triviale et la moins courageuse. Maurice Grimaud ne donne pas des consignes, il parle à des hommes. Il n’est pas au-dessus d’eux, mais dans la même « Maison », de plain-pied. Il leur parle métier, de façon précise, concrète et illustrée, et non pas chiffre ou résultat, de façon abstraite et désincarnée. Surtout, il s’adresse à leur conscience, faisant le pari du citoyen sous l’uniforme, évoquant avec le mot « réputation » l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et, au-delà, du bien commun.

Voici le texte intégral de cette lettre de Maurice Grimaud que les #NuitDeboutPartout feraient bien de reprendre largement et, pourquoi pas, de diffuser sous forme de tracts auprès des forces dites de l’ordre, en ce jour de Fête internationale des travailleurs, 1ermai 2016, devenu 61 mars dans le nouveau calendrier de l’improbable sursaut qui, aujourd’hui, nous réveille. On en retiendra notamment cette injonction : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même. » (...)