
En discussion depuis le mois d’avril 2018, un projet de directive censée protéger davantage les lanceurs d’alerte de toute l’Union européenne peine à se dessiner. Une volonté freinée par quatre États, dont la France. Une attitude que dénonce l’eurodéputé radicale de gauche, Virginie Rozière.
Après différents scandales financiers (LuxLeaks, SwissLeaks, UBS), provoqués ces dernières années à la suite de révélations de lanceurs d’alerte, l’Union européenne va-t-elle (enfin) accoucher d’une directive leur accordant une "protection généralisée" sur tout le continent ? Depuis le mois d’avril 2018, les différentes institutions européennes tentent de se mettre d’accord sur son contenu.
Deux camps s’affrontent. D’un côté, la Commission européenne et une partie du Conseil européen, qui rassemble les ministres des différents États membres. Pour eux, les signalements des lanceurs d’alerte doivent se faire dans un cadre très strict, sous peine de s’exposer à des poursuites judiciaires. Tout d’abord, ils doivent se faire en interne, au sein de l’entreprise ou de l’administration concernée. Et une fois ce "canal" épuisé, le lanceur d’alerte pourra alors se tourner vers une autorité extérieure définie au préalable, comme le Défenseur des droits en France, puis en cas d’échec, vers la presse. Des plans calqués sur la législation française actuelle et la fameuse loi Sapin II. Dans le camp adverse, le Parlement européen et sa commission des affaires juridiques estiment pour leur part que le lanceur d’alerte doit pouvoir choisir le canal le plus approprié à sa démarche. Un compromis est-il possible ?
Cette semaine, jusqu’au lundi 11 mars, des réunions décisives sur le sujet doivent se tenir. Les députés européens devront surtout convaincre quatre pays membres, extrêmement réticent à leur projet. La France, l’Allemagne, mais aussi ses alliés de circonstance : l’Autriche et l’Italie, farouchement opposés au fait de briser toute hiérarchisation des canaux. "Qu’Emmanuel Macron se pose en leader des progressistes européens est une chose, observe Virginie Rozière, eurodéputé radicale de gauche, membre du groupe socialistes et démocrates (S&D) et rapporteur du texte au Parlement, auprès de Marianne. Mais désormais, il faut que ces postures se muent enfin en actes et en avancées concrètes". Entretien. (...)
"Il faut leur permettre de trouver des alliés, de faire face
à d’éventuelles pressions ou intimidations" (...)
s si le lanceur d’alerte décide de faire un signalement interne, il doit être accompagné, aidé, assisté par des syndicats ou des ONG. (...)
Nous savons que la solitude, l’isolement, sont des difficultés rencontrées par les lanceurs d’alerte. Il faut donc leur permettre de trouver des alliés face à des cas de conscience extrêmement difficiles à gérer seul. Et surtout de faire face à d’éventuelles pressions ou intimidations. (...)
Par votre volonté de briser toute hiérarchisation des canaux de signalements, vous prônez l’exacte antithèse de la loi Sapin II. La protection des lanceurs d’alerte à la française vous paraît inefficace ?
La loi Sapin II a le mérite d’exister. Elle propose une définition du lanceur d’alerte, propose des procédures de recueil des signalements… Toutefois, elle présente des défauts qu’il faut corriger. La France a tendance à penser qu’elle fait tout très bien, et c’est pourquoi elle veut appliquer son modèle à l’Europe entière. Mais elle est loin d’être à la pointe de la protection des lanceurs d’alerte. (...)
il y a des pays qui sont bien plus avancés dans la protection des lanceurs d’alerte. Ce sont leur exemple que nous voulons suivre pour une protection réelle, ambitieuse... Nous pouvons par exemple citer la Suède qui autorise les signalements externes mais aussi publics sans aucun préalable et sans aucune condition. C’est un droit qui est garanti par la constitution suédoise et qui existe dans le droit suédois depuis plus de deux siècles. Et honnêtement, tout ne s’est pas effondré en Suède, il n’y a pas eu une explosion du nombre de révélations, de diffamations, de calomnies... (...)
Le Conseil veut absolument obliger les lanceurs d’alerte a faire leur signalement au cœur de leur entreprise ou de leur administration. Mais dans bien des cas, c’est exposer le lanceur d’alerte aux représailles, aux pressions… Et c’est un risque que le Conseil ne veut pas prendre en compte. Cette surdité est volontaire et s’explique simplement par son alignement sur les positions des entreprises, du business. Certains groupes n’ont pas hésité à tenter de faire pression. (...)
C’est bien simple : les conservateurs et les libéraux ne peuvent afficher clairement qu’ils sont contre la protection des lanceurs d’alerte… Alors, ils imposent des conditions tellement restrictives qu’elles risquent d’empêcher le bon fonctionnement de la mesure. En tête de cette frange "dure", il y a quatre pays : la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Autriche. Quatre États qui sont seuls contre tous. (...)
Qu’Emmanuel Macron se pose en leader du progressisme européen est une chose. Mais le voir faire les yeux doux à l’électorat italien en se posant en contre-modèle de Matteo Salvini, alors qu’ils épousent exactement les mêmes positions sur cette question, c’est insupportable. Il faut que la France prenne ses responsabilités. D’autant qu’avec cette directive, elle a elle-même une chance d’améliorer son propre appareil législatif. (...)
On est dans un moment, à la veille des élections européennes, où l’opinion publique va se tourner davantage vers ces questions européennes. Nous n’hésiterons pas à dénoncer ces agissements en cas d’échec des négociations... Malheureusement, cette hypocrisie française n’est pas nouvelle.