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L’Humanité
MÉDICAMENTS : UNE PÉNURIE EN BANDE ORGANISÉE
Article mis en ligne le 27 janvier 2019

Depuis 2008, les ruptures de stock de molécules considérées comme essentielles ont été multipliées par dix en France. Le résultat de choix industriels visant le seul profit, sous le regard d’un État spectateur.

Une personne sur quatre aurait déjà été touchée par ce phénomène « récurrent et massif », indique une enquête rendue publique la semaine dernière par France Assos Santé, collectif qui regroupe 80 associations de patients et d’usagers. Des ruptures qui concernent, dans plus d’un cas sur trois (36 %), des vaccins, mais aussi, donc, des anti-infectieux, des traitements pour les maladies du système nerveux (épilepsie, Parkinson), des médicaments contre le cancer, l’hypertension, les problèmes sanguins ou les allergies… La liste de ces molécules indisponibles s’allonge chaque année (elle a bondi de 30 % entre 2016 et 2017, selon l’ANSM), devenant un véritable phénomène structurel, et non plus une anomalie, dans notre système de santé. (...)

D’environ 50 en 2008, on est passé à 530 en 2017. C’est spectaculaire », pointe Alain-Michel Ceretti, le président de France Assos Santé. Une envolée qui ne doit rien à la malchance. « En 2008, les ruptures observées pouvaient éventuellement s’expliquer par des événements indésirables liés à la fabrication. Aujourd’hui, les causes sont bien structurelles, liées aux choix des industriels », accuse le représentant des malades.

Perte d’indépendance sanitaire
Ces choix ? Une production de plus en plus mondialisée et concentrée sur un petit nombre d’usines. « Près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’UE proviennent de pays tiers », pointe ainsi l’Agence européenne du médicament. De même, 35 % des matières premières utilisées dans la fabrication des médicaments en France dépendent de seulement trois pays : l’Inde, la Chine et les États-Unis. Une situation de « perte d’indépendance sanitaire préoccupante » pour la France et l’Europe, a convenu, en octobre dernier, un rapport du Sénat consacré au sujet.« La cause numéro 1, c’est la financiarisation de la production de médicaments (...)

Ce qui veut dire deux choses : délocaliser la production dans des pays à bas coûts et travailler avec le minimum de stocks. » Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’à la moindre difficulté, la pénurie s’installe. Parfois, pour longtemps. (...)

Mobilisée depuis plusieurs mois sur le sujet, France Parkinson, qui fédère plusieurs associations de malades (dont 45 000 sont sous Sinemet sur les 200 000 touchés par cette pathologie), a lancé en octobre une pétition adressée au gouvernement, l’accusant de « non-assistance à personne en danger ». Signée par 35 000 personnes, elle n’a donné lieu à aucune réponse du ministère de la Santé. « Par on ne sait quel miracle, des stocks de médicaments ont réapparu pour les mois de décembre et de janvier, raconte Florence Delamoye, directrice de France Parkinson. Mais, début février, on devrait de nouveau être en rupture. » Conséquence pour les malades : l’obligation de réduire les doses pour gérer la pénurie. « Ce qui veut dire voir les symptômes de la maladie réapparaître (...)

L’affaire du Sinemet a aussi donné lieu, fin décembre, à un fait inédit : la condamnation du laboratoire MSD à une amende de 348 623 euros, prononcée par l’Agence française du médicament, pour n’avoir mis en place aucun « plan de gestion des pénuries » et fait peser sur les patients « un risque grave et immédiat ». « La sanction reste modeste pour un géant comme Merck, mais c’est un premier pas » (...)

Pour Alain-Michel Ceretti, la solution de fond serait que « l’Europe parle enfin d’une seule voix face aux labos, ce qui renverserait le rapport de forces actuel, très favorable aux industriels. Mais les États s’y refusent, de manière incompréhensible ». Résultat : les laboratoires peuvent négocier les prix de leurs « produits » en toute opacité, flécher leurs stocks vers les pays les plus rémunérateurs, voire utiliser ces pénuries comme moyen de pression pour imposer leurs nouvelles molécules. C’est sûr, la gestion des médicaments en France n’a pas besoin d’une simple cure, mais d’un vrai traitement de fond.