
Plusieurs intellectuels lancent un appel aux grandes fortunes françaises pour la création d’un grand fonds de solidarité nationale. La solidarité doit être contagieuse, elle est le meilleur remède au Covid-19.
Tribune.
La finance responsable avec la crise sanitaire qui ravage le monde, au lieu d’être un oxymore, peut-elle devenir un pléonasme ? Avant l’irruption du virus planétaire, un autre virus commandait l’essentiel des choix des grands acteurs financiers du monde, le retour sur investissement, et, dans sa version dévoyée, la cupidité. Et plus fâcheux pour le bien commun, un virus du cynisme qui semblait s’obstiner à devenir universel. Rêvons tous que l’altruisme, non seulement y résiste, mais, face à toutes ces catastrophes annoncées, le mette à terre définitivement.
Certes les principes sont toujours disputés par quelques exceptions, le budget de la Fondation Bill Gates (5 milliards de dollars) pèse plus que celui de l’OMS (2 milliards de dollars). Ces retours de gratitude pour l’humanité, qui a permis à de grands mécènes de s’enrichir tant, n’effacent pas la résistance de certaines grandes fortunes mondiales à franchir le Rubicon et accepter un sacrifice autre que cosmétique. Or la prise en compte de l’intérêt général exige davantage aujourd’hui. (...)
Urgence radicale et vitale
Mohamed Bouamatou, homme d’affaires franco-mauritanien, président de la Fondation pour l’égalité des chances en Afrique, appelle aujourd’hui les grands acteurs économiques, privés et multinationales, africains, à sauver un continent qui risque de se retrouver, demain, dans « un bourbier sans nom ». Personne ne peut oublier le travail de lobbying incessant des grands acteurs du marché pour détricoter, sinon disqualifier, l’action menée par des citoyens et leurs mandataires, les ONG, pour imposer des normes contraignantes qui fassent que quand ils prétendent être aussi coresponsables, sinon plus, de notre destin commun, ils cessent de se payer de mots sur notre dos. Stocker de l’éthique semble être devenu la meilleur bouée, parfois, pour organiser son irresponsabilité juridique.
Face au fléau qui nous menace, et pour que le monde ne se défasse pas, urgence radicale et vitale à changer de paradigme. (...)
Pensons aux dizaines de millions de migrants parqués dans des camps partout dans le monde, menacés d’une mort silencieuse, une de plus. (...)
L’ONG Oxfam, lors du dernier sommet de Davos, a dévoilé un rapport stigmatisant la concentration des richesses et l’aggravation des inégalités par le « capitalisme de rentier ». 42 milliardaires détiennent la même richesse que 3, 7 milliards de personnes. 82 % de la croissance des richesses créées dans le monde ont profité aux 1 % des plus riches, alors que la situation n’a pas évolué pour les 50 % les plus pauvres. En France, les plus riches détiennent l’équivalent de 30 % du PIB, et le montant cumulé des 500 plus grandes fortunes de France a été multiplié par trois en dix ans, atteignant un record de 650 milliards d’euros. Les pouvoirs publics demandent des sacrifices incommensurables à nos citoyens, pour une grande part, déjà fragilisés, alors que l’extrême pauvreté en France n’a cessé de croître ces dernières années. Certes les plus riches n’ont pas le monopole en France d’une difficulté à dépasser l’horizon de leurs intérêts particuliers, sinon catégoriels, pour participer collectivement à la protection des grands intérêts publics. Mais notre pays n’est encore guère une terre de traditions où les plus grandes fortunes, spontanément, agissent fortement en faveur du bien commun. Il ne serait pas absurde de commencer.
La contagion peut être aussi vertueuse (...)
Des cagnottes essaiment sur les réseaux sociaux, alimentées par de nombreux citoyens chacun à sa mesure. A la leur, nos grandes fortunes nationales pourraient en ouvrir une, d’urgence. Et, dans la durée, pour des montants significatifs. Certains ont versé leur écot pour Notre-Dame, le sacré, c’est plus que jamais l’humanité. (...)
Ils n’ont rien à perdre et tout à gagner. Personne ne peut croire que cet effort que la nation est en droit légitimement d’attendre d’eux, altérera lourdement leur train de vie, leur projet. Les héritiers de Bill Gates ont été lourdement déshérités pour financer la fondation de leur père, mais ils lui ont rendu grâce.
Faisons un rêve aussi, que ceux qui n’ont cessé de s’enrichir pendant les années en spéculant à la baisse, quand les marchés s’effondrent, soient inoculés par un minimum de civisme et lèvent le pied. (...)
Et si une telle annonce en traînée de poudre invitait les plus grands rentiers du monde à peut-être apprendre à faire leur deuil des logiques court-termistes et d’accumulation qui sont aujourd’hui des malédictions ? La bourse ou la vie ? Non, la solidarité, meilleur antidote contre l’effondrement.