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Orient XXI
Liste des organisations terroristes. Quand l’Union européenne s’emmêle
Article mis en ligne le 13 janvier 2022
dernière modification le 12 janvier 2022

Établie par l’Union européenne au lendemain du 11-Septembre, la liste des organisations qualifiées de terroristes, au-delà de ses incohérences, paralyse son activité diplomatique. Elle enraye son rôle politique dans la résolution des conflits en rendant impossible tout contact avec des acteurs majeurs.

Début 2021, l’Autorité palestinienne (AP) programme la tenue d’élections présidentielle et législatives palestiniennes pour le mois de mai. L’annonce est reçue positivement par l’Union européenne (UE) qui déclare alors vouloir soutenir le processus. Mais le spectre du scénario de 2006 plane. À l’époque, alors que l’UE avait envoyé une mission pour observer les élections palestiniennes et déclaré qu’elles s’étaient déroulées en toute régularité, elle n’en a pas reconnu les résultats. En cause : la victoire du Hamas, un parti palestinien listé par l’UE comme terroriste.

Or, les règles de non-engagement adoptées par l’UE vis-à-vis du gouvernement (refus de discuter avec tout ministre du Hamas) issu des urnes en 2006 ont fini par contredire ses objectifs dans la région. Elles ont accéléré la scission de 2007 entre le Hamas et le Fatah et contribué à légitimer le blocus illégal imposé par Israël à la bande de Gaza. Le président palestinien Mahmoud Abbas a finalement reporté sine die les élections palestiniennes prévues en mai 2021, mais la présence du Hamas sur la liste des organisations terroristes de l’UE se posera à nouveau, dès la remise à l’agenda de celles-ci.
Des traitements différenciés aux motifs inconnus

C’est en 2001, dans la foulée des attentats du 11-Septembre, que l’UE établit sa liste d’individus et d’entités « impliqués dans des actes de terrorisme et faisant l’objet de mesures restrictives ». La décision relève de la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE, et donc de son Conseil. Elle représente la mise en œuvre de la résolution 1373 sur la lutte contre le terrorisme adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU deux semaines après les attentats. La liste européenne a pour but de s’attaquer au financement du terrorisme en gelant les fonds, les avoirs financiers et les ressources économiques des individus et organisations listées.

Dans sa mise à jour de 2021, la liste reprend 14 individus et 21 organisations. À la lecture des organisations listées, on remarque rapidement des incohérences. Plusieurs partis palestiniens y figurent, mais à différents titres. (...)
Trois partis palestiniens, trois types d’inscriptions différents sur la liste. Les raisons de ces différences sont inconnues, étant donné que les exposés de motifs pour l’introduction de nouveaux noms sur la liste ne sont pas publics, mais on peut néanmoins tirer quelques observations des documents publiquement disponibles. (...)

La branche armée du Hamas figurait déjà sur la liste initiale publiée en 2001
1
. Ce n’est qu’en 2003 et à l’initiative du Royaume-Uni que la branche politique y est ajoutée, l’UE s’alignant ainsi également sur les États-Unis. Jusque-là, la France et la Belgique s’opposaient à l’ajout de la branche politique, invoquant le très probable rôle du parti palestinien dans d’éventuelles négociations de paix, mais aussi son importance pour la provision de services sociaux aux Palestiniens.
Considérations électoralistes et diplomatiques

Ironiquement, alors qu’il fut à l’initiative du rajout de la branche politique sur la liste européenne, le Royaume-Uni lui-même a continué, jusqu’à il y a peu, de ne mentionner que la branche armée du Hamas sur sa propre liste. Mais en novembre 2021, il a finalement décidé d’y inclure la branche politique du Hamas. Lancée par la secrétaire d’État à l’intérieur, Priti Patel, la décision semble néanmoins autant servir les objectifs politiques internes de la majorité conservatrice que la lutte contre le terrorisme (...)

Une procédure qui rend impossible toute radiation

Dès 2001, un réexamen régulier des personnes et entités reprises sur la liste est prévu, au minimum tous les six mois, « afin de s’assurer que leur maintien sur la liste reste justifié ». En 2007, l’UE formalise les procédures d’inscription ou de radiation de la liste. Elle instaure un groupe de travail, le groupe COMET, chargé d’instruire les décisions du Conseil. La décision est enfin prise à l’unanimité par le Conseil.

Outre l’État membre (ou le pays tiers) ayant initialement proposé l’inscription, les organisations listées elles-mêmes peuvent demander leur radiation de la liste. C’est ce que le Hamas tente de faire depuis plus de dix ans, sans succès. En septembre 2010, il introduit un recours auprès du Tribunal de La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En décembre 2014, la décision du Tribunal fait l’effet d’une bombe : il affirme que le Conseil ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants pour maintenir le gel des avoirs et l’interdiction de voyager imposés au Hamas. Dès le mois de janvier 2015, le Conseil se pourvoit en appel. En juillet 2017, la Cour de justice finit par annuler la décision du Tribunal et lui renvoie l’affaire pour réexamen
4
. En décembre 2018, l’arrêt du Tribunal finit par rejeter le recours du Hamas. Le Hamas ne s’en tient pas là, et se pourvoit en appel. En septembre 2019, le Tribunal lui donne raison sur l’un des moyens invoqués
5
. Mais le 21 novembre 2021, la Cour annule à nouveau l’arrêt du Tribunal et confirme le maintien du Hamas sur la liste des organisations terroristes de l’UE. (...)

Le recours introduit par le Hamas montre que les procédures pour le maintien ou la radiation d’organisations sur la liste sont loin d’être limpides. Malgré une révision de la liste des organisations terroristes de l’UE tous les six mois, il semble que les radiations soient rares. (...)

En effet, vu la longueur, la difficulté des procédures de recours et la nécessité d’avoir à la fois une initiative de l’État membre (ou de l’État tiers) qui en a proposé l’inscription et une décision à l’unanimité du Conseil, l’inscription d’une organisation s’avère la plupart du temps définitive. (...)

En définitive, l’UE semble donc parfois devoir choisir entre la lutte contre le terrorisme et sa politique en faveur de la paix et de la stabilité dans la région. Pourtant, il semble que l’outil de lutte contre le terrorisme qu’est la liste des organisations terroristes pourrait être mieux adapté aux intérêts de l’UE et de la politique européenne de voisinage. (...)

La procédure de radiation pourrait par ailleurs être plus flexible qu’elle ne l’est aujourd’hui, afin d’éviter d’« enfermer » des organisations sur la liste et de permettre de l’adapter aux objectifs de politique étrangère de l’UE.