
Madame la préfète,
Depuis le mois de mai, et plus encore durant ce mois de juillet, vous avez ordonné l’expulsion de plusieurs squats à Bordeaux et dans la Métropole Bordelaise. Forte de votre bon droit, vous avez même affirmé que vous vouliez fermer « le plus de squats possibles ». Ces expulsions à répétition ne règlent pas le problème, les habitants devant trouver un autre logement. Faute de solution, c’est nécessairement un squat, dont ils sont à nouveau chassés. Aujourd’hui, vous voyez le résultat : des centaines de personnes sont à la rue alors que nous connaissons des conditions climatiques extrêmes. Certes, vous avez le pouvoir d’ordonner les expulsions, mais vous avez aussi celui, sinon d’y surseoir, du moins de les retarder et de faire en sorte que cela se déroule dans des conditions plus dignes. Mais vous avez choisi la brutalité. Vous le savez, vous serez tenue responsable de ce choix et vous devrez en rendre compte.
Car non contente d’avoir privé de toit toutes ces personnes, vous avez enfreint la loi en ne relogeant pas nombre d’entre elles qui pourtant y avaient droit. Le rapport que le SAMU Social a rendu aujourd’hui même, 27 juillet, précise que 70% des occupants de la Bourse du Travail de Bordeaux sont référencés comme demandeurs d’asile. Or, la loi précise qu’ils doivent bénéficier d’un hébergement. Beaucoup d’entre eux n’ont pas eu cette possibilité, vous les en avez privés.
Mais au delà du droit, Madame la préfète, avez vous compris dans quelle situation physique, morale et psychique se trouvent celles et ceux que vous avez mis à la rue ? Avez vous une idée de ce qu’est leur vie aujourd’hui, à Bordeaux ? Sans doute pas, ou peut être vaguement en raison des rapports qui vous sont faits. Nous vous invitons alors à passer là où des associations, des collectifs, des citoyennes et des citoyens essaient de les aider, de les accompagner, de leur tendre la main et de leur donner un peu de cette humanité dont vous semblez dépourvue.
Venez, et vous verrez des choses que, sans doute, vous n’avez jamais vues. Vous verrez des hommes des femmes qui apportent de la nourriture, des produits d’hygiène et des vêtements. Vous verrez celles et ceux qui préparent des repas, organisent les jours et les nuits, donnent leur temps, leur énergie, leur savoir-faire pour apaiser un peu la douleur de leurs prochains. Et vous verrez aussi cette douleur, cette blessure qui vient s’ajouter à toutes les autres, celles du départ, celles du voyage, celle des humiliations et des abandons... Vous verrez le malheur et la colère en même temps que la solidarité en actes, vous comprendrez le sens du mot fraternité.
Quand vous aurez vu, quand vous aurez entendu ce qu’ils et elles ont à dire, pourrez vous ignorer leur demande première, cette urgence absolue : la réquisition des édifices vides, de bâtiments publics sans occupants pour y placer celles et ceux qui sont sans toit ? Dans un premier temps, face à l’impératif besoin, nous ne demandons que cela. Réquisitionnez et ouvrez. Vite. Vous n’en avez pas seulement le pouvoir, vous en avez le devoir.
Vous l’avez compris, Madame la préfète cette demande réclame une réponse immédiate. Mais il n’est pas question d’en rester là. Ce qu’il faut, pour tous les sans-logis, c’est un logement pérenne. Il est inacceptable que dans notre pays, à notre époque, des personnes soient ainsi abandonnées, laissées à la rue. Nous nous battons et nous nous battrons encore pour défendre ce droit le plus élémentaire, le droit au logement. Sur tous les terrains, sur le terrain médiatique, sur le terrain politique et sur le terrain juridique. Car nous sommes sûrs de notre bon droit, celui de notre conscience, d’abord, mais aussi le droit qui figure dans nombre de textes internationaux ainsi que dans la loi française.
Soyez assurée, Madame la préfète, de notre détermination.