
Azyz Amami, un des blogueurs emblématiques de la révolution qui a renversé le régime de Ben Ali en 2011, écrit une lettre ouverte à Edgar Morin pour lui raconter cinq histoires de la Tunisie actuelle, et lui demander de soutenir les jeunes résistants d’aujourd’hui.
Cher monsieur Morin, avant de commencer, laissez-moi vous faire cette confidence : je ne croyais pas que vous écrire aurait été une tâche si dure. J’ai commencé cette lettre il y a douze jours. Mais à chaque fois que j’avançais, je ne pouvais que reculer pour réexaminer ce que j’écrivais. Quand on s’adresse à vous, monsieur Morin, il faut savoir mesurer ses paroles. Le poids de votre travail cognitif et de votre lutte impose le respect.
J’ai d’abord entrepris de vous écrire cette lettre en réponse à la tribune publiée sur le site de Libé, intitulée « Soutenons les jeunes en Tunisie » et à laquelle vous avez apporté votre signature.
Un certain moment, je voulais passer au peigne fin les artefacts de ce texte, qui a eu des échos très diversifiés en Tunisie.
Puis, après y avoir bien pensé, je me suis dit qu’en fin de compte, ce n’était que des différences de lecture, et que, en fin de compte, l’intention était la même : aider cette jeunesse en Tunisie. L’aider en quoi, l’aider comment ? Là est toute la différence. Au lieu de passer par la critique de ce texte-là, je me proposais plutôt de vous raconter quelques histoires. (...)
Ces jeunes-là sont des résistants, des « fellaghas », qui résistent aux chaînes de l’Etat tunisien. Un prix pourrait servir à faire parler de la « cause ». Mais penser à eux d’une manière évangéliste, les présenter comme de « gentilles victimes mignonnes », voilà ce qui est contraire au travail de ces jeunes.
Chacun d’eux a donné de son âme, de son corps, chacun d’eux a choisi de briser le risque en allant l’affronter directement.
S’ils sont persécutés, arrêtés, torturés, et/ou autres (place à votre imagination, notre Etat en a), c’est parce qu’ils ont pris position, et qu’ils travaillent pour une nouvelle société plus digne et plus juste.
Pour les soutenir, il faudrait tenir compte de la portée de leurs actes. Et je vous invite, monsieur Morin, à nous soutenir, à soutenir notre travail, non pas seulement des images médiatisables en France.
Car, je ne sais pas si vous en avez idée, mais nous vous lisons. Férocement. Et ce que l’on dit/fait en France évoquant la Tunisie a de l’impact chez nous. Un impact fort.
Et que cet impact ne nous est pas calculé selon l’alphabet anthropologique français, mais selon l’alphabet anthropologique tunisien.