
Pendant la guerre d’indépendance algérienne, l’armée française est confrontée à des formes de désobéissance relativement nombreuses et d’intensité variable.
Les mémoires divergentes de la guerre d’Algérie (1954-1962) demeurent encore aujourd’hui un obstacle majeur à l’établissement de relations apaisées entre la France et son ancienne colonie. Une commission mixte d’historiens français et algériens a bien été constituée par les gouvernements pour avancer vers la réconciliation, mais elle semble faire face à d’importantes difficultés politiques.
Cela ne doit toutefois pas masquer les nombreux travaux produits sur le sujet ces dernières années par les historiennes et les historiens. Parmi eux, Marius Loris Rodionoff, docteur en histoire, s’intéresse à la crise de l’autorité dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie en croisant une analyse quantitative (nombre de procès engagés par les tribunaux militaires par exemple) avec la description de quelques trajectoires individuelles.
Des formes multiples de désobéissance
On peut regrouper les divers cas de désobéissance présentés par Marius Loris Rodionoff en trois grandes catégories. La première est constituée par les putschs, c’est-à-dire les soulèvements d’une partie de l’armée en vue de prendre directement le pouvoir ou d’influer significativement sur le régime (...)
Au-delà de ces quelques moments de crise profonde qui engagent l’armée dans son ensemble et menacent l’unité de la France, des désobéissances frontales plus communes existent aussi. Elles peuvent être collectives : un certain nombre de « rappelés » (des jeunes Français qui ont terminé leur service militaire depuis moins de trois ans) manifestent ainsi en 1955 lorsqu’ils sont rappelés sous les drapeaux et envoyés en Algérie. Elles peuvent également être individuelles sous la forme de désertion (abandon de poste sans autorisation par l’autorité militaire), d’insoumission (refus de se rendre sous les drapeaux) ou d’objection de conscience (refus d’accomplir les obligations militaires). Ces désobéissances frontales demeurent toutefois limitées puisque les réfractaires ne représentent alors qu’1% de l’armée française. Certains historiens (comme Tramor Quemeneur) interprètent ce chiffre comme un consentement à la guerre des Français.
Marius Loris Rodionoff s’oppose toutefois à cette idée d’un consentement à la guerre d’Algérie et appuie sa démonstration sur un troisième type de désobéissance beaucoup plus modeste en apparence. Il étudie pour cela les archives des tribunaux militaires (qui étaient fermées jusqu’en 2014) ainsi qu’un certain nombre de journaux intimes et de lettres de militaires. Les critiques ou insultes marmonnées au milieu du groupe comme l’ironie implicite permettent aux soldats de remettre en cause l’autorité de leurs chefs sans basculer dans une opposition ouverte susceptible de sanctions. Il peut s’agir également d’outrages (offenses verbales), de voies de fait (violences légères) ou encore de vols.
Pour l’historien, il ne s’agit pas de simples écarts de comportement plus ou moins anodins ou de délinquance de droit commun, mais bien d’une forme de désobéissance qui relève de l’« infrapolitique » (...)
Une armée en pleine transformation
Pour expliquer ces multiples formes de désobéissance, Marius Loris Rodionoff insiste plus particulièrement sur les transformations internes à l’armée. (...)