
C’est l’un des principaux arguments des partisans de la réforme du droit du travail en France : les autres Européens l’ont fait, alors nous aussi. L’Italie, l’Espagne la Grèce, le Royaume Uni et plusieurs pays d’Europe de l’est ont facilité les licenciements, la baisse des salaires ou le recours au travail précaire de longue durée. Une bonne partie de ces pays ont mis en œuvre des politiques, contraints et forcés par la Commission européenne et le FMI, en échange de prêts accordés pour éponger leur dette publique, ou d’une adhésion à l’Union européenne. Des réformes réalisées pour le plus grand profit des employeurs et des actionnaires, qui n’ont pas vraiment enrayé la hausse du chômage et de la précarité.
Avant l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Roumanie, la Hongrie… et évidemment la Grèce sur injonction de la Commission européenne, ont largement réformé leur droit du travail. En Espagne, les possibilités de licenciement ont été élargies, leur coût potentiel pour l’employeur réduit, un nouveau contrat a été créé pour les jeunes dans les PME, avec une période d’essai d’un an pendant laquelle aucune justification n’est nécessaire pour les mettre à la porte. En Grèce, le salaire minimum a été abaissé, un nouveau « contrat jeune » créé, avec lequel les moins de 25 ans perçoivent un salaire inférieur tout en devant effectuer une période d’essai de deux ans, et sans que cela n’ouvre le droit à des indemnités chômage à la fin du contrat. Ces réformes grecques, comme les autres modifications du droit du travail mises en place dans le pays, ont été largement imposées par la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) en échange des prêts accordés à Athènes pour éponger sa dette publique. (...)
« Les programmes de réformes de droit du travail sont différents selon les pays. Il y ceux qui ont été imposés d’une façon assez claire et publique dans le cadre de la troïka, en Irlande, en Grèce, au Portugal, à Chypre. Mais il y a aussi eu des réformes faites avec moins de publicité, dans les pays de l’Est à la suite de leur entrée dans l’UE. Dans ces cas-là, le Fonds monétaire international a aussi exercé une pression forte pour libéraliser leur marché du travail, souligne Isabelle Schömann, chargée de recherches à l’Institut syndical européen. Par exemple, le programme économique qui a accompagné l’entrée dans l’UE de la Croatie, en 2013, prévoyait que le pays « simplifie ses procédures de licenciements collectifs, élargisse l’éventail d’activités autorisées aux agences d’emploi intérimaires et abolisse la limite mensuelle d’heures supplémentaires [2]. »
« À partir de 2011, le semestre européen s’est mis en place. Ce n’est pas un dispositif aussi contraignant et brutal que la troïka, mais ce système force aussi la main aux pays pour réformer leur droit du travail », poursuit la chercheure. Le semestre européen, dispositif émanant de la Commission européenne, est chargé de surveiller les politiques économiques et budgétaires dans l’UE. En février dernier encore, l’organe critiquait un marché du travail français jugé trop « rigide » où la protection contre les licenciements serait trop élevée [3].
Au Royaume-Uni, il faut payer pour aller aux Prud’hommes (...)
Concrètement, les réformes des dernières années réalisées à travers l’UE se concentrent sur quelques axes principaux. À chaque fois, la flexibilité tant vantée se fait au profit des employeurs : licenciements plus faciles et moins coûteux, possibilités accrues de déroger aux conventions collectives. Deux piliers qui se retrouvent aussi dans le projet de loi en discussion en France.
Les règles de licenciements ont ainsi été assouplies depuis 2009 en République tchèque, au Portugal, en Espagne, en Slovaquie, au Royaume-Uni, en Estonie, en Grèce, et aussi en Roumanie. Au Portugal, la procédure de licenciement individuel a été simplifiée, les possibilités de licenciement pour inaptitude ont été élargies, et les indemnités de licenciement réduites [4]. Le Jobs act italien rend aussi les licenciements potentiellement beaucoup moins coûteux pour l’employeur. Avec les nouveaux contrats dits « à protection croissante », licencier de manière abusive peut s’avérer onéreux seulement si le salarié a de l’ancienneté. Au Royaume-Uni, les procédures auprès des tribunaux du travail ont même été rendues payantes : les frais pour le salarié s’élèvent à 300 euros environ pour le simple dépôt d’un recours, jusqu’à 1200 euros si l’affaire est inscrite à une audience. Ces frais sont remboursés si le plaignant gagne [5]. Ce qui dissuade évidemment d’autant plus de contester son licenciement.
Contrats 0 heures ou neuf ans de CDD ?
Le Royaume Uni a aussi créé un contrat d’un genre bien particulier : les salariés y renoncent à leurs droits en échange d’une participation à l’intéressement. (...)
Mais pourquoi résister, puisque ces réformes sont, selon les recommandations de la Commission européenne, faites pour réduire le chômage et faciliter le développement de l’emploi ? Les réformes engagées dans le Sud de l’Europe depuis la crise de la dette ont-elles permis de réduire significativement le chômage ? En Grèce, le taux de chômage était de 26 % en 2014 contre 18 % en 2011 et 12 % en 2010. Le taux de chômage des moins de 15 ans plafonne toujours à 48 %. En Espagne, le taux de chômage était de 22 % en 2015, toujours au-dessus de son niveau de 2010 (20 %). Et 45 % des jeunes espagnols sont toujours sans travail [7]. Manifestement, les contrats jeunes ultra-précaires mis en place n’ont pas eu l’effet annoncé.