Le climat se détraque et les présentateurs météo le savent bien. Affolés par l’urgence climatique, cinq d’entre eux racontent à Reporterre comment ils profitent de leur bulletin pour sensibiliser les Français
(...) À 36 ans, Chloé Nabédian, l’autrice du livre La météo devient-elle folle ? (éd. du Rocher, 2019), fait partie d’une génération « qui a grandi en ne pouvant plus ignorer les effets du changement climatique, et qui les voit s’accélérer », dit-elle. Mais quel que soit leur âge, les présentatrices et présentateurs sont de plus en plus nombreux à avoir développé une sensibilité écologique et à la partager dans leurs bulletins météo. (...)
C’est le cas de Kévin Floury, 28 ans, journaliste-présentateur météo à BFM TV. « Pour les vœux de 2022, j’ai souhaité à tout le monde que cette année météorologique soit la plus proche possible des normales de saison », se souvient-il. Au lendemain du Nouvel An, il venait en effet de dérouler une météo d’une douceur exceptionnelle, avec de multiples « records de température battus, et pas que dans le Sud, également en Normandie avec quasiment 17 °C sur la plage de Deauville ». Régulièrement envoyé spécial pour donner à voir aux téléspectateurs les inondations, les orages ou les incendies, il constate avec inquiétude que « les épisodes de froid se raréfient par rapport aux épisodes de chaleur, ce qui assèche les sols... Il n’y a aucune raison que ça change, c’est affolant, dit-il. J’ai peur qu’on s’y habitue. »
Longtemps réservés sur le lien entre météo et climat, les présentateurs ont vécu les tempêtes de 1999 comme « un premier déclic, avec les jardins de Versailles saccagés », juge Évelyne Dhéliat, vedette de la chaîne TF1, contactée au téléphone par Reporterre. Le second tournant, aux yeux de celle qui présente la météo depuis le 22 septembre 1992, a été la COP21, en 2015. « Depuis, le climat prend une place grandissante à la télévision, nous avons pleine conscience que nous sommes montés dans le train du changement climatique. Mais nous sommes toujours surpris par la vitesse à laquelle il est devenu un TGV, dont il faut vite trouver les freins. »
« Nous ne pouvons pas seulement nous adresser aux vacanciers qui veulent bronzer » (...)
Pour ralentir ce train fou, « les présentatrices et présentateurs météo ont un rôle à jouer ! » observait le paléoclimatologue Jean Jouzel, en juin 2021, à l’occasion du Forum international de la météo et du climat (FIM), un rendez-vous d’éducation et de mobilisation sur les enjeux du climat. Ces journalistes sont, pour lui, des chaînons précieux entre les scientifiques et le grand public « dans l’éducation des citoyens par rapport à l’urgence d’agir pour préserver la santé de notre planète ». (...)
Sensibiliser à la crise climatique passe d’abord par « le choix des mots », assure Kévin Floury. « Le beau temps prévaudra en juillet », disait Albert Simon, la voix légendaire de la météo à Europe 1, invité à l’émission C’est aujourd’hui demain de Guy Lux, sur FR3, le 2 juillet 1986, pour qualifier un mois « plus ensoleillé que d’habitude », sec, et avec moins de pluie. « Aujourd’hui, nous ne pouvons plus utiliser ce genre de vocabulaire : en météo, le beau et le mauvais temps n’existent pas, chacun voit midi à sa porte », juge Évelyne Dhéliat. Force est, tout de même, de constater que ces expressions persistent dans certains bulletins.
« Dans un monde où les agriculteurs ont les yeux rivés en permanence vers le ciel, car leurs récoltes dépendent autant du soleil que de la pluie, nous ne pouvons pas seulement nous adresser aux vacanciers qui veulent bronzer sur les plages », explique Kévin Floury. Le 2 janvier 2022 au soir, après un laïus sur les températures supérieures aux normales de saison, Chloé Nabédian s’était même félicitée du retour du froid, une « bonne nouvelle ». « Les temps changent », avait salué sur Twitter Benjamin Jullien, de l’European Climate Foundation. (...)
« On peut réveiller les gens »
Dans son bureau à France 2, Chloé Nabédian l’assure : la météo, programme regardé et écouté chaque jour par des millions de téléspectatrices et téléspectateurs, est « un moment privilégié » pour « diffuser la connaissance » sur le climat détraqué de la Terre. (...)
« de cette position, on peut aussi réveiller les gens sur le fait que les conditions de notre vie sur Terre sont en danger. Ne pas faire cela, au vu de l’urgence climatique, ce serait faire une météo hors sol » (...)
« de cette position, on peut aussi réveiller les gens sur le fait que les conditions de notre vie sur Terre sont en danger. Ne pas faire cela, au vu de l’urgence climatique, ce serait faire une météo hors sol » (...)
« Nous sommes disponibles à tout moment pour répondre aux questions des présentateurs, même les matinaliers qui commencent dans la nuit », explique Sébastien Léas, prévisionniste à la cellule média de Météo France et lui même présentateur de la météo sur France Info. Dans les locaux de l’établissement public, devant de multiples écrans, les experts tentent d’évaluer l’influence du changement climatique sur les événements climatiques. (...)
« C’est d’autant plus important que la plupart des présentatrices et présentateurs français ne sont pas des prévisionnistes », dit M. Léas. « C’est une particularité française » selon Christian Vannier, créateur et directeur du Forum international de la météo et du climat, contacté par Reporterre. Il estime qu’à l’international, 70 % des présentateurs sont des scientifiques. (...)
Chaque jour, les émissions de CO2 dans le monde
Une fois ces clés de compréhension en poche, les présentatrices et présentateurs ont néanmoins un problème de temps : « Nos tranches sont assez courtes », avance Évelyne Dhéliat. « En une minute, je dois donner une carte du ciel de France », dit Marie-Pierre Planchon, le tout sans images, radio oblige. Or, observe Sébastien Léas, « le changement climatique est complexe. Il faut du temps pour expliquer, par exemple, que ce n’est pas parce qu’il y a une vague de froid qu’il n’existe pas ».
Pour y remédier, plusieurs pistes se dessinent. « Au-delà de nos bulletins météo traditionnels, nous sommes plus souvent amenés à nous arrêter plus longtemps, en plateau, sur un évènement météorologique précis », explique Kévin Floury. (...)
« Plus les ressorts et les causes du changement climatique seront compris, plus une action ambitieuse aura des chances d’advenir », assure Marie-Pierre Planchon. (...)