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les inrocks
Les peuples Sioux partent à l’attaque des banques françaises
Article mis en ligne le 31 mai 2019

S’ils ont perdu face à Trump, qui a relancé la création du pipeline Dakota Access, cinq activistes Sioux de Standing Rock lancent une série d’actions contre les banques européennes, qu’ils accusent de financer des projets climaticides. On était avec eux à Paris, à l’offensive contre la BNP Paribas et la Société Générale.

9 h tapante, ce lundi 22 mai. Une quinzaine d’activistes déboulent dans une agence de la Société Générale, à Paris. Là, en plein milieu du hall, ils emboîtent rapidement les pièces d’un long tube en plastique. C’est la réplique d’un pipeline, qui crache son venin noir au sol : du pétrole. L’entrée de l’agence et l’accès aux distributeurs de billets sont bloqués : c’est bon, la banque est cernée. Ils ont leur attention. "Mais, mais... Vous ne pouvez pas faire ça !" bafouille l’hôtesse d’accueil, devant les yeux écarquillés de ses collègues, sortis des bureaux en trombe à cause de l’envahissement soudain.

C’est là que Juan Mancias, chef de la tribu Carrizo Comecrudo, fait son entrée. Le grand colosse de deux mètres, aux longs cheveux noirs, leur tend une simple lettre. Sa "déposition", comme il l’appelle. Dedans, il y accumule les preuves que la banque française finance des projets de terminaux d’exportation de gaz de schiste, directement chez lui, dans la réserve de la vallée de Rio Grande, au Texas. "Vous tuez mon peuple ! Vous participez à un génocide ! Vous devez arrêter d’investir dans ces projets !", exhorte l’Indien d’Amérique. (...)

Car la Société Générale est l’une des banques européennes qui participent aux financements de différents projets d’énergies fossiles aux États-Unis, tous liés à l’exportation de gaz de schiste. (...)

"Toutes les banques françaises ont joué un rôle clé dans le projet le plus connu : le Dakota Access Pipeline (DAPL)", assure Lucie Pinson, chargée des campagnes des Amis de la Terre, l’une des ONG à l’origine de l’action non-violente de ce matin.

Les banques, l’autre conquête de l’Est

Pendant près d’un an, la construction de cet oléoduc a mobilisé une multitude d’opposant dans la réserve de Standing Rock (Dakota du Nord). Juan en faisait partie, avant d’être expulsé du camp en février dernier, par un décret de Donald Trump qui relançait le projet, malgré le retrait de Barack Obama en décembre 2016. (...)

C’est face à cette indifférence générale que Juan et quatre autres représentants de tribus amérindiennes ont décidé de faire le déplacement jusqu’ici, en France. Ils ont même organisé toute une tournée européenne, appelée "Stand Up with Standing Rock", pour parler avec les banques, participer aux assemblées générales des groupes, les mettre face à leurs responsabilités, jusqu’à ce qu’ils désengagent leurs investissements dans ces projets. (...)

On explique bien aux agences ciblées que c’est une action symbolique. On sait qu’ils ne représentent pas tout le groupe, mais ils feront remonter l’information à la direction", précise Nataanii Means, l’un des activistes Sioux qui a fait le déplacement. Le chanteur de hip hop est un militant dans l’âme : il avait manifesté jusqu’aux derniers jours contre le DAPL, jusqu’à être arrêté par la police.

"Les banques peuvent toujours reculer. Si elles désinvestissent, les projets sont morts !", assure Rachel Heaton, de la tribu Muckleshoot, dans l’État de Washington. (...)

"Nos vies ne sont pas extensibles, le Missouri est notre source de rivière. La poursuite du rêve américain s’est bâti sur l’extinction des Amérindiens et des Afro-américains. Le pays a été bâti sur notre dos, sur nos larmes et sur notre sueur. On a le droit de vivre, pas juste de survivre !" (...)

Venir ici, c’est un peu leur dernier espoir. Ils le savent : Trump ne cédera jamais sur les autres projets. "On savait que Trump allait relancer le DAPL, on pouvait entendre les forages avant même qu’il signe le décret officiel... Le pétrole représente beaucoup d’argent, plus cher à leurs yeux que nos vies", se désole Rafael Gonzales, qui prend le micro et commence à chanter en anglais. Ces phrases, qui évoquent la déshumanisation et les violences policières contre les Sioux, ils les a écrites quand il était dans le camp de Standing Rock. "On est plus chauds que le climat !", scandent à leur tour les manifestants des autres ONG qui accompagnent les Amérindiens, qui se font appeler "les défenseurs de l’eau". (...)

Ces "défenseurs de l’eau" avaient prévu un autre gros coup : le lendemain, ils ont participé en petits groupes à plusieurs Assemblées générales, dont celles de la BNP Paribas, du Crédit Agricole, Natixis ou de la Société Générale. Pas pour une action violente, simplement pour témoigner, pour qu’ils ne soient "pas complices de la politique anti-climat de Trump", précise Lucie Pinson, qui a accompagné un groupe. Ils avaient trois grandes requêtes : que les banques s’engagent à ne plus soutenir les entreprises impliquées dans le DAPL ; qu’elles n’investissent plus dans des projets d’énergies fossiles ; qu’elles s’engagent à respecter les droits des peuples autochtones sans attendre l’aval des Principes de l’Équateur (où sont listés les engagements que doivent prendre les banques).

"On s’en fiche"

Aucune session n’a été concluante. "Aucune réponse suffisante n’a été apportée sur ces trois points", se désole la militante des Amis de la Terre. (...)

Juan et ses compères ont même été accueillis par des "sifflés et une forte agressivité" par les actionnaires de Société Générale. Ceux-ci n’ont même pas voulu écouter leurs questions : "On s’en fiche", leur aurait-on répondu. (...)

Las, les défenseurs de l’eau ne désespèrent pourtant pas. A plus de 7 000 kilomètres de chez eux, ils espèrent au moins éveiller les consciences des Français. Quelques jours plus tôt, ils organisaient place de la République une réunion ouverte. Tour à tour ils interpellaient les gens et discutaient avec eux. (...)