
Alors que les migrations internationales sont souvent conçues comme des problèmes d’ordre sécuritaire, économique, ou culturel, Mirna Safi nous invite à penser le phénomène migratoire sous un angle différent : celui des inégalités sociales.
En opérant un rapprochement fort entre deux objets d’analyse des sciences sociales pourtant traditionnels mais souvent traités selon des méthodes et des théories distinctes, Migration and Inequality s’affaire à démontrer la relation consubstantielle entre inégalité sociales et migration.
Pour ce faire, il emploie une synthèse théorique de travaux existant à l’intersection de multiples disciplines, telles que la sociologie, l’économie politique et la psychologie sociale, pour proposer un nouveau cadre analytique des migrations internationales comme relevant de processus inégalitaires plus généraux.
Le livre identifie ainsi quelques mécanismes fondamentaux recouvrant d’une part les processus de catégorisations – c’est-à-dire l’assignation à des groupes par système classificatoire – et les processus de distributions des ressources d’autres part, qui ensemble produisent deux dynamiques inégalitaires fondamentales : l’exclusion et l’exploitation.
Cette mise en place théorique permet l’analyse de trois dimensions par lesquelles les liens entre inégalité et migration peuvent être pleinement appréhendés, et qui organisent le cœur du livre :
- la dimension économique et la position des migrants dans un monde caractérisé par une division du travail globalisée et inégalitaire,
- la dimension légale du droit et des catégories administratives d’État qui organisent les mouvements des populations migrantes, et enfin,
- dimension ethnoraciale des distinctions subjectives de l’appartenance et des différences perçues entre « eux » et « nous » sur la base de marqueurs ethniques, linguistiques, ou raciaux selon les contextes.
Penser les migrations sous l’angle de la stratification sociale et vice versa (...)
Ensemble, les trois axes analytiques (économique, légal, ethnoracial) permettent à Migration and Inequality de proposer un cadre théorique général et comparatif tout en restant relativement facile à suivre dans sa démarche conceptuelle. Ainsi, l’ouvrage procède à un impressionnant tour d’horizon à la fois géographique et intellectuel afin de mettre à jour le rôle des inégalités sociales dans la genèse des projets migratoires à l’aide de l’économie politique, qui permet de penser le migrant comme un type de travailleur, tout en essayant de rendre compte de la complexité de cette condition à la lumière du genre et des catégories sociales de la différence (comme la race et l’ethnicité). En dépit de critiques influentes sur le « nationalisme méthodologique » ou la tendance parmi les chercheurs à naturaliser les États-nations comme unités d’analyse par défaut des processus migratoires, le livre démontre qu’on ne peut néanmoins pas penser le lien entre inégalité et migration sans l’appareil légal des catégories d’État, telles que la citoyenneté, qui sont communément admises comme étant « normales », légitimes, et de ce fait, opérantes. (...)
ce sont le droit et les catégories qu’il produit qui organisent non seulement l’accès formel aux ressources des migrants mais aussi leur valorisation morale en tant qu’être humain (...)
Ainsi, l’une des forces du cadre analytique interdisciplinaire proposé par le livre est de donner des clés pour penser les liens entre les dimensions économiques, légales, et culturelles des inégalités dans la genèse et la réception des projets migratoires. (...)