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Les méthodes des lobbies pour empêcher la réglementation des perturbateurs endocriniens
Stéphane Horel est journaliste. Pendant trois ans, elle a enquêté sur les lobbies pour comprendre la bataille silencieuse qui se mène dans les couloirs de la Commission européenne contre la réglementation des perturbateurs endocriniens. Elle l’a racontée dans son ouvrage Intoxication, paru en octobre 2015 (éd. La Découverte), et toujours d’actualité
Article mis en ligne le 28 février 2017

La Commission européenne présente ce mardi 28 février une quatrième définition de ce que sont les perturbateurs endocriniens. L’Union européenne cherche depuis des années à réglementer ces substances qui, en affolant nos hormones, posent un problème majeur de santé publique. Les lobbies ont énormément retardé le processus européen, comme l’explique à Reporterre la journaliste Stéphane Horel.

Plus de trois ans de retard. La Commission européenne devait fournir une définition des perturbateurs endocriniens (PE), ces molécules qui interagissent avec nos hormones et sont présentes dans de nombreux produits du quotidien, d’ici à décembre 2013. Mais ce mardi 28 février 2017, la Commission européenne en présente la quatrième version aux États membres de l’Union. Elle n’est que légèrement modifiée, par rapport à celle de décembre 2016, qui n’avait pu obtenir la majorité. Reste l’exception majeure introduite à la demande de l’Allemagne : les pesticides spécialement conçus pour être des perturbateurs endocriniens seraient exclus de la définition. « C’est absurde ! C’est comme si on interdisait les armes à feu, sauf celles conçues pour tuer les gens », estime François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures.

Par ailleurs, cette définition requiert trois éléments pour classer une substance comme perturbateur endocrinien : démontrer qu’elle a un effet, démontrer son mode d’action, et démontrer la relation de causalité entre les deux. Or, « une exposition à deux mois de grossesse peut avoir des effets 25 ans plus tard, note M. Veillerette. Le niveau de preuve est extrêmement élevé. Avec cette définition, il n’y aurait qu’entre zéro et deux substances classées ! » (...)

En 2012 j’ai assisté à une conférence organisée par la Commission européenne sur la règlementation des perturbateurs endocriniens. À l’époque, j’avais commencé à me former sur les techniques des lobbies. Là, le cours se déroulait devant moi. La salle de 300 personnes était à moitié remplie par des lobbyistes, et les scientifiques que je connaissais depuis plusieurs années subissaient une pression énorme. Quand on parle de lobbying, c’est pour raconter comment une loi a été abîmée. Donc, je me suis dit, « on va le raconter en direct ».

Le problème est le temps que cela prend. C’est un travail au jour le jour pendant trois ans. Il faut être accroché comme une teigne au sujet et ne pas le laisser partir par lassitude. Il faut analyser des milliers de pages de documents internes de la Commission européenne, sa correspondance avec les lobbies, évidemment en anglais, avec des notions techniques. Cela exige un temps dont ne dispose pas un journaliste dans une rédaction. (...)

Dès le départ, toute l’industrie de la chimie s’est alliée à l’industrie des pesticides pour éviter une règlementation stricte. Dans les conférences, on voyait l’industrie du pneu, celle des jouets… (...)

Le temps que l’on s’aperçoive qu’il y a un problème, il faut des chiffres, ou des dégâts constatés sur l’environnement ou sur les gens. Cela peut prendre 20 ans pour retirer un produit. C’est ce qui se passe avec les néonicotinoïdes et peut-être avec le glyphosate.

Mais le règlement sur les pesticides de 2009 a ce que l’on appelle une approche par le danger, on agit a priori. Si un produit est intrinsèquement dangereux, son accès au marché est interdit. C’est une stricte application du principe de précaution. Cela inaugurerait une nouvelle philosophie de règlementation et c’est un précédent qu’aucun industriel n’a envie de voir. (...)

Quand on dit « lobbies », cela entraîne tout un imaginaire, beaucoup de clichés. Tous les secteurs industriels ont des organisations de lobbying qui défendent leurs intérêts auprès des institutions européennes. Par exemple, la plus grosse organisation de lobbying européenne est le Cefic [European chemical industry council], le conseil européen de l’industrie chimique, qui dispose d’un budget annuel de 40 millions d’euros et de plus de 150 employés.

On ne parle pas de corruption ou de valises de billets. On parle d’organiser une proximité intellectuelle, de fournir les données, parfois des solutions toutes prêtes, dont les décideurs ont besoin pour réfléchir. Cela signifie prendre des rendez-vous, envoyer des courriels, des relances, écrire des documents que l’on met en pièce jointe. C’est extrêmement banal et assez ennuyeux. Il n’y a rien de spectaculaire. (...)

Toutes les stratégies de manipulation de la science, je les mets sous le terme « manufacture du doute ». Il s’agit de transformer le processus standard de la science, qui est de repousser les frontières de l’incertitude, afin d’introduire le doute dans l’esprit du décideur.

Il y a plusieurs façons de faire. (...)

a Commission européenne a été condamnée par la Cour de justice européenne pour n’avoir pas respecté les délais et violé les traités de l’Union. Pourtant, la Commission a poursuivi son étude d’impact, malgré la condamnation de la plus haute instance de l’Union européenne.

Puis elle a présenté une définition des perturbateurs endocriniens en juin 2016. Depuis, cette définition est en discussion au sein d’un comité spécialisé, qui va en présenter ce mardi la quatrième version. Personne n’est content, y compris l’industrie. Et la Commission dit que, si personne n’est content, c’est qu’elle a bien fait son travail. C’est extraordinaire ! (...)