
(...) Avant cette « guerre », Gaza était une sorte d’espace en quarantaine, avec une population maintenue captive et colonisée par l’habilité d’Israël à bafouer le droit international en toute impunité (2). Et cette population est sous régime de dépendance – en matière d’alimentation, d’eau, de médicaments et même de déplacements – auprès de ses colonisateurs. En cas de cessez-le-feu, Gaza demeure colonisée, fermée, sous blocus, c’est-à-dire, une prison à ciel ouvert, un camp de réfugié-e-s gigantesque.Un détail au sujet des morts toutefois est continuellement repris dans les médias dominants basés en Occident : la grande majorité des Palestinien-ne-s assassiné-e-s à Gaza sont des civils et ces sources ajoutent que parmi eux se trouve un nombre « disproportionné » de femmes et d’enfants.
Le meurtre de femmes et d’enfants est horrible, cependant, dans la répétition de ces faits dérangeants, il manque quelque chose : le deuil de l’opinion publique pour les hommes palestiniens assassinés par la machine de guerre israélienne. En 1990, Cynthia Enloe (3) a inventé le terme « femmesetenfants » afin de réfléchir à la mise en place d’une rhétorique genrée pour justifier la guerre du Golfe. Aujourd’hui, nous devons être conscient-e-s de la façon dont le cliché « femmesetenfants » est véhiculé au sujet de Gaza et plus largement de la Palestine. Il accomplit plusieurs exploits rhétoriques, dont deux principaux : d’un côté, le regroupement des femmes et des enfants au sein d’une même catégorie indistincte, regroupé-e-s par « similitude » de genre et de sexe ; de l’autre, la reproduction du corps de l’homme palestinien (et plus généralement de celui de l’homme arabe) comme toujours déjà dangereux. Ainsi le statut des hommes palestiniens (une désignation qui inclut les garçons âgés de 15 ans et plus, et parfois aussi jeunes que 13 ans) comme « civils » est toujours perçu comme douteux. Cette manière de genrer la guerre d’Israël sur Gaza est proche de la rhétorique de la « Guerre contre le terrorisme », et comme Laleh Khalili l’a remarquablement démontré (4), proche de la stratégie contre-insurrectionnelle et du « war-making » plus globalement. Dans ce cadre, le meurtre de femmes, de filles, de pré-adolescents et de jeunes garçons est à relever tandis que les adolescents et les hommes sont présumés coupables de ce qu’ils auraient pu faire si on les avait laissés en vie. De plus, ces adolescents et hommes sont potentiellement dangereux non seulement pour les soldats qui occupent leur pays mais aussi pour les « femmesetenfants » qui sont les réel-le-s civils. Les jeunes garçons après tout peuvent grandir pour devenir de violents extrémistes. En tuant le corps, on désamorce ce potentiel. (...)
Ce discours est si efficace qu’il n’a pas besoin de s’appuyer sur les faits : il les outrepasse.
La machine de guerre israélienne, un peu comme celle des Etats-Unis en Afghanistan ou en Iraq, ne protège pas les queers, les femmes et les enfants palestinien-ne-s. Elle les tue, les mutile, les sépare de leurs proches – pour la simple raison qu’ils sont Palestinien-ne-s, et donc pouvant possiblement être tué-e-s en toute impunité à la vue du monde entier. Aujourd’hui, la différence entre les « femmesetenfants » palestinien-ne-s et les hommes palestiniens n’est pas la production de cadavres mais plutôt la circulation de ces cadavres à l’intérieur d’un cadre rhétorique dominant et grand public qui détermine qui a droit d’être pleuré sur la place publique comme véritables « victimes » de la machine de guerre israélienne.
Le grand nombre de « femmesetenfants » mort-e-s suffit à mobiliser le président des Etats-Unis et les Nations Unies à faire des déclarations dans lesquelles la violence est « condamnée » – mais le meurtre, l’emprisonnement, la mutilation des hommes et garçons palestiniens en temps de guerre et de cessez-le-feu restent tus. (...)