
Dans une étude pour la Fondation Jean Jaurès publiée mercredi, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach s’intéressent aux différents aspects de ce mouvement polymorphe, qui laisse apparaître une fracture territoriale mais également sociale dans le pays.
« Le soutien au mouvement des gilets jaunes a revêtu une très nette coloration sociale », estiment ainsi les auteurs. « La France qui s’est mobilisée ou qui a soutenu ce mouvement est celle des fins de mois difficiles. Ce sont ces Français qui ne parviennent pas ou parviennent tout juste à boucler leur budget du fait des dépenses contraintes (loyer, assurance, chauffage...) qui ne cessent d’augmenter », expliquent-ils. « Pour ces membres des classes moyenne et populaire, l’augmentation des prix à la pompe, à laquelle ils se rendent régulièrement, constitue l’illustration la plus criante de cette hausse subie des dépenses contraintes », relèvent ces experts, qui n’hésitent pas à parler d’un « très net clivage de classe ».
Ainsi, les ouvriers, les chômeurs et les employés sont ceux qui soutiennent le plus le mouvement, suivis par les travailleurs indépendants (artisans notamment) et les retraités. Le soutien est en revanche minoritaire parmi les professions intermédiaires, les cadres et les professions intellectuelles supérieures. « Ce clivage cadres et classes moyennes versus catégories populaires s’est même exacerbé à mesure que le mouvement se poursuivait », selon l’étude.
« Nous ne sommes pas en face d’un mouvement marginal et catégoriel », observe également le géographe Christophe Guilluy dans un récent entretien au quotidien Le Figaro. « La fronde dépasse le monde rural et touche l’ensemble des catégories modestes ».
« Positions de classe »
Pour l’historien Gérard Noiriel, interrogé par le journal Le Monde, « l’un des côtés très positifs de ce mouvement tient au fait qu’il replace la question sociale au centre du jeu politique. Des hommes et des femmes de toutes origines et d’opinions diverses se retrouvent ainsi dans un combat commun ».
Benoît Coquard, sociologue, le rejoint sur ce point. « Dire conscience de classe, ce serait un peu prématuré, mais en tout cas, ce mouvement révèle des positions de classe », indique-t-il dans une interview au journal L’Humanité.
Le démographe Hervé Le Bras, qui a cartographié la mobilisation du 17 novembre, souligne également, auprès de l’AFP, que « ces gens ne sont pas pauvres, mais dans des situations très fragiles ». « Quand un paramètre comme le prix du carburant change, ils n’ont plus de réserve. »
Il s’agit de « contribuables qui se sentent délaissés par la puissance publique du fait de la fermeture de certains hôpitaux ou de tribunaux, et de la dégradation de certaines infrastructures publiques », explique de son côté le sociologue Alexis Spire dans Le Journal du dimanche.
Gérard Noiriel appelle toutefois à « éviter de réduire les aspirations du peuple à des revendications uniquement matérielles » (...)
Pour lui, ce mouvement a une dimension supplémentaire. « La dénonciation du mépris des puissants revient presque toujours dans les grandes luttes populaires, et celle des gilets jaunes n’a fait que confirmer la règle. » Christophe Guilluy dénonce d’ailleurs un « mépris de classe » dans « la chasse à la voiture menée par les élites », alors que « les catégories populaires vivent de plus en plus loin de l’emploi et ont un besoin vital de leur voiture ».