
Et si au lieu d’influencer les députés, on les formait directement à défendre nos intérêts ? A peu de choses près, voilà le credo des banques qui financent l’European Parliamentary Financial Services Forum. Fini le lobby à l’ancienne où les banquiers se bornent à payer des lobbyistes en costume pour porter la bonne parole à des députés ou à des décideurs administratifs. Avec l’EPFSF, les meilleurs lobbyistes des banques deviennent les eurodéputés eux-mêmes. Il suffisait d’y penser.
Créé en 2000, l’EPFSF se présente comme une association d’eurodéputés s’intéressant aux enjeux financiers. Mais cette association d’un type un peu particulier n’est pas une véritable commission parlementaire du Parlement européen. Elle n’est pas non plus un groupe politique puisque les eurodéputés qui adhèrent à cette association appartiennent à différents groupes politiques (liste ici). L’EPFSF est une association de députés financée par les principales banques et lobbys financiers du continent (liste ici).
Les lobbys classiques se bornent à essayer d’influencer les décideurs politiques ou administratifs en défendant les intérêts de telle ou telle firme ou de tel ou tel secteur. Mais l’EPFSF va plus loin en prétendant se situer en amont du processus décisionnel : ce forum est là pour « éduquer » ou « former » les députés aux questions financières.
« Promouvoir un dialogue efficace »
Résumons, l’European Parliamentary Financial Services Forum est une association de députés directement financée et animée par le secteur bancaire (des firmes et des fédérations patronales). (...)
Financée par Barclays, Citigroup, Deutsche Bank et bien d’autres établissements financiers, elle dispose de 351 000 euros de budget annuel. L’EPFSF se veut une plate-forme permettant aux banques ou aux lobbyistes du secteur de la finance d’accéder directement aux eurodéputés dans un cadre en apparence neutre. Les députés, eux, sont censés y trouver leur compte en se familiarisant aux terminologies et aux enjeux du secteur financier et en rencontrant les cadres dirigeants ou les lobbyistes du secteur. (...)
Afin de rendre le dispositif en apparence plus démocratique, l’EPFSF a introduit un système d’observateurs extérieurs en demandant par exemple au Bureau européen des consommateurs d’assumer le rôle de scrutateur[2]. Mais cette logique ne fait que renforcer la légitimité du dispositif car ces observateurs extérieurs n’ont pas de pouvoir décisionnel dans la structure et sont rarement invités à prendre la parole lors des débats. Les table-rondes organisées par l’EPFSF mettent en revanche sur un pied d’égalité les cadres dirigeants des banques, les lobbyistes du secteur financier et les eurodéputés ou les responsables de la Commission européenne,. (...)
Comment évaluer la portée réelle de ce type de dispositif ? On peut tout d’abord avancer qu’il renforce (s’il en était besoin) la légitimité des banques dans le système décisionnel de l’UE, d’autant plus que les rencontres ont souvent lieu au Parlement européen (comme en juin 2015 où fut invité le vice-président du Parlement). Surtout, ce forum renforce la dépendance des élus aux données techniques en provenance du monde de la finance. (...)
Des eurodéputés dépendants de l’expertise extérieure
Ces forums à destination des députés se multiplient ces dernières années car ils prennent appui sur des logiques de fonctionnement très particulières du système bruxellois. Les équipes des eurodéputés se disent souvent dépassées face à la masse de texte législatif à traiter à chaque mandature. Les services généraux du Parlement tentent régulièrement de corriger ce déséquilibre structurel. C’est notamment pour cela qu’en novembre 2013, fut créée une véritable direction générale au service de la recherche et du soutien au travail parlementaire (la DG EPRS[3]) et que fut lancé un appel à candidatures pour recruter des experts dans différents domaines (notamment financiers)[4]. Les associations pour la transparence se sont d’emblée inquiétées de la position stratégique que pourraient ainsi occuper des experts proches de certaines firmes, transformés ainsi subitement en fonctionnaires de l’Assemblée. (...)
Une structure comme l’EPFSF s’appuie également sur les logiques distinctives du champ parlementaire (chaque député tentant d’être reconnu comme « solide » sur tel ou tel sujet). Le Parlement européen est un univers concurrentiel dans lequel l’ancienneté, mais aussi la production de profils spécialisés, permettent aux députés de se maintenir sur les positions les plus centrales. Les lobbyistes de l’EPFSF s’appuient sur ces dynamiques de spécialisation pour attirer à eux les députés. (...)
Sans nul doute, la diffusion généralisée du libéralisme économique et la prédominance du PPE, des libéraux et du PSE au Parlement européen, rendent plus particulièrement possibles la diffusion de ces pratiques car aucun obstacle de type idéologique n’est jamais opposé par les députés ou leurs structures partisanes à « cette formation par les entreprises ». Cette proximité idéologique se traduit aussi sur un plan plus sociologique, dans les recrutements des assistants des eurodéputés.
Des assistants parlementaires issus des milieux d’affaires (...)
On peut toujours dénoncer l’existence de structures comme l’EPFSF. Mais l’existence de ce forum n’est à bien des égards que le symptôme d’un système politique où c’est l’expertise et non l’élection qui produit la légitimité politique et où la puissance publique a abandonné depuis bien longtemps toute velléité de production des savoirs nécessaires à une intervention politique indépendante des intérêts immédiats des milieux d’affaires.