
Auditionnés en octobre sur leurs conditions de travail, plusieurs membres de l’IHU dénoncent les pressions exercées par Didier Raoult et la falsification de résultats scientifiques pour démontrer l’efficacité de l’hydroxychloroquine. Mediapart a pu consulter un compte rendu de ces entretiens conduits, notamment, par l’Université d’Aix-Marseille, l’Inserm et l’AP-HM.
Cette fois, Didier Raoult est lâché par ses propres équipes. Selon de nouveaux documents et témoignages que nous avons recueillis, plus d’une dizaine de personnes (biologistes, médecins, internes ou assistants) ont fait part de leur malaise face à « des pratiques scientifiques et éthiques regrettables ». Pire : ils dénoncent la falsification de résultats biologiques afin de démontrer l’efficacité de l’hydroxychloroquine, un temps présenté comme une solution magique pour combattre le Covid-19.
C’est lors d’une série d’entretiens réalisés en octobre que plusieurs membres de l’IHU, plus de dix, ont témoigné, auprès des représentants des instances qui les emploient : l’université d’Aix-Marseille, l’Assistance publique – hôpitaux de Marseille (AP-HM), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), ainsi que l’Inserm. (...)
Par « peur des représailles », qu’elles soient internes ou externes à l’IHU, la préservation de l’anonymat et la confidentialité des échanges ont été les conditions posées à ces entretiens d’une durée d’une heure.
Mediapart et L’Express avaient déjà révélé (à lire ici) que l’IHU avait conduit plusieurs essais cliniques non autorisés et prescrit des traitements à l’efficacité non prouvée et à la toxicité avérée (notamment sur la tuberculose). C’est à présent sur le traitement phare de Didier Raoult, celui qui l’a fait connaître du grand grand public, qu’on découvre la réalité de ses méthodes.
Les témoignages décrivent une réalité très éloignée de celle que donne à voir le professeur Didier Raoult, qui se targue de compter parmi ses équipes 10 % des chercheurs français aux publications les plus citées, mais qui n’a pas donné suite à nos sollicitations. « Il n’y a pas de véritable science derrière les publications de l’IHU depuis des années », lance l’un des médecins interrogés. « Les résultats présentés doivent correspondre aux hypothèses faites par Didier Raoult. Dans le cas contraire, les personnes concernées peuvent être dévalorisées publiquement avec mise en doute de leurs compétences », est-il rapporté dans un compte rendu de ces auditions que nous avons pu consulter.
En 2020, lors de la première vague du Covid, alors que Didier Raoult pousse ses équipes à travailler sur l’hydroxychloroquine, certains virologues émettent des réserves sur le choix du professeur d’annoncer, publiquement, les effets positifs de cette molécule, non prouvés à ce stade et « sans attendre la complétude de toutes les études pour valider ce protocole ».
Deux groupes de patients ont été analysés avec des critères différents pour permettre de conclure faussement à l’efficacité de l’hydroxychloroquine. (...)
le professeur Didier Raoult « a évincé les médecins biologistes des plannings “afin qu’ils prennent du repos”et en contrepartie a mis en place un logiciel pour automatiser la déclaration des résultats dans le logiciel de l’AP-HM, [avec un cycle d’amplification différent favorisant la négativité – ndlr] sans validation préalable par les médecins biologistes. »
Ces membres de l’IHU ont tardé à témoigner, par crainte d’être physiquement pris à partie.
Mais le désaccord en interne est tel que certains virologues poursuivent des études sur l’hydroxychloroquine. Le 22 juillet 2020, dans la revue Nature, le directeur de l’unité des virus émergents (UVE) hébergée par l’IHU, Xavier de Lamballerie, publie avec d’autres scientifiques, les résultats d’une étude concluant à l’inefficacité de l’hydroxychloroquine chez le macaque.
En mai 2020, dans la revue Antiviral Research, le professeur Xavier de Lamballerie appelait déjà à beaucoup de prudence dans l’interprétation des premiers résultats proposant l’hydroxychloroquine comme un antiviral efficace dans le Covid-19.
Il n’empêche. La communication du professeur Raoult provoque les effets que certains scientifiques de l’IHU redoutaient : un espoir, aujourd’hui difficilement raisonnable. (...)
Comme le déplore auprès de Mediapart l’un des membres de l’IHU, la visite en avril 2020 du président Emmanuel Macron au professeur Didier Raoult au sein de l’institut a accentué le sentiment que le patron était intouchable.
Mais au-delà de l’incrédulité de leurs interlocuteurs, voire de leurs proches, ces personnels de l’IHU ont tardé à témoigner, par crainte d’être physiquement pris à partie. Certains rappellent que des « tags injurieux et menaçants » ont été inscrits sur les bâtiments de ceux qui contestaient Didier Raoult.
Les intimidations émanent, également, de l’entourage du professeur. Les colères de son adjoint Michel Drancourt sont fréquentes et redoutées.
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Certains énumèrent les manifestations de « patriotes » sur les marches de l’IHU, aux heures de sortie des personnels. D’autres, la proximité de Didier Raoult avec des personnalités complotistes et extrémistes comme Louis Fouché, fondateur d’un collectif « Réinfocovid », diffusant de fausses informations scientifiques. (...)
Le professeur de biologie, Éric Chabrière, très proche du professeur lui aussi, sème la terreur. Comme l’a révélé Le Monde, dans une enquête sur les méthodes des pro-Raoult, cet ancien officier de réserve de l’armée, qui, lui-même, se présente comme « le nouveau shérif sur Twitter », n’hésite pas à menacer toute personne contestant les pratiques de l’IHU.
En mars dernier, il a publié un tweet adressé au docteur Christian Lehmann, chroniqueur à Libération, avec le commentaire suivant : « Je rappelle que Lehmann est un des responsables de la fakenews de la toxicité de l’HCQ [Hydroxychloroquine – ndlr] […]. Pour les fakemeds, j’hésite entre deux châtiments pour l’après-crise. Il faut revenir aux vieilles bonnes traditions. » Des illustrations de tortures complétaient ses propos.
Pour ces membres de l’IHU, témoigner a été d’autant plus difficile, qu’ils ont pu par ailleurs apprécier la troublante passivité des instances censées les protéger et faire respecter l’éthique médicale et scientifique, dont l’Université d’Aix-Marseille, l’IRD ou l’AP-HM. (...)
Comme nous l’avons précédemment révélé (à lire ici), dès 2017, les pratiques scientifiques de l’IHU avaient déjà fait l’objet d’inspections dont les conclusions avaient conduit le CNRS et l’Inserm à lever leur tutelle. Les pressions et le climat de peur étaient dénoncés par des étudiants et des chercheurs. En septembre 2020, lors d’une assemblée générale et en présence, notamment, des représentants de l’Université d’Aix-Marseille, de l’IRD et du service de santé des armées, le constat reste inchangé et le mal être grandissant au sein de l’IHU.
Lors de leur récente audition, plusieurs membres expriment « un sentiment d’abandon » de leur tutelle, restée immobile. « Ils considèrent que rien n’a changé malgré les quelques alertes dans le fonctionnement de l’IHU. » Las, ils estiment que « Didier Raoult, ses chefs de service et ses chefs de pôle restent intouchables ».
Ils ont perdu tout espoir que les choses changent. Certains disent que « Raoult va partir mais que cela ne va rien changer car ses bras droits vont prendre la succession ». (...)
« Les instances qui sont censées piloter l’IHU, comme l’Université ou l’Institut de recherche pour le développement (IRD), n’ont rien fait contre les pratiques de Didier Raoult qu’elles ne pouvaient ignorer. Tant sur ses méthodes de management par la terreur, que sur le non-respect des règles d’éthiques et de déontologie. Par leur inaction, toutes ont leur part de responsabilité dans les pratiques illégales de l’IHU. » (...)
Contactée, l’Université d’Aix-Marseille ne commente pas à ce stade ces entretiens et rappelle qu’une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) est en cours. Quant à l’IRD et l’Inserm, ils n’ont pas donné suite à nos questions.