
(...) La disparition, le 25 janvier au Caire, de l’étudiant italien Giulio Regeni, et sa mort sous la torture, que plusieurs chancelleries occidentales, à commencer par l’Italie, imputent aux forces de sécurité égyptiennes, ont donné un nouveau coup de projecteur sur la dérive sécuritaire du pays. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’armée, en juillet 2013, et l’élection du président Abdel Fattah Al-Sissi, en mai 2014, les violations des droits de l’homme ont pris une ampleur inégalée sous le couvert de la lutte antiterroriste. Après les Frères musulmans et les révolutionnaires, les organisations indépendantes qui documentent ces violations sont désormais dans le collimateur des autorités.
Le verdict, attendu le 20 avril, sur le gel des avoirs de deux figures emblématiques de la société civile pourrait, en cas de condamnation, signer le début d’une vaste campagne contre ces organisations. Déjà sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire, l’ancien directeur de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), Hossam Bahgat, et le directeur du Réseau arabe d’information sur les droits de l’homme (Anhri), Gamal Eid, sont poursuivis pour avoir illégalement reçu 1,5 million de dollars de financements étrangers pour leurs ONG. « C’est un ramassis de mensonges visant à nous diffamer aux yeux des Egyptiens », se défend M. Eid.
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L’affaire remonte à décembre 2011 et aux poursuites engagées contre quarante-trois employés d’ONG internationales. Parmi eux, les étrangers, dont dix-sept Américains, avaient été condamnés par contumace à cinq ans de prison en juin 2013. Puis les Egyptiens étaient restés dans l’expectative. La réactivation du dossier pourrait viser trente-neuf organisations indépendantes et près de quatre cents défenseurs des droits de l’homme. « On pourrait être en prison avant la fin de l’année et voir disparaître toute la société civile bâtie au cours des trente dernières années », déplore Hossam Bahgat, un journaliste de 37 ans dont onze passés à la tête de l’EIPR, qui dit avoir « été harcelé [par le passé], mais jamais à un tel niveau ». Au regard de l’article 78 du code pénal, amendé en novembre 2014 par décret présidentiel, ils pourraient être condamnés à des peines allant jusqu’à vingt ans de prison pour obtention de financements étrangers visant à déstabiliser le pays.
« Sous l’ancien président Hosni Moubarak, on parlait de volonté de réduire l’espace de la société civile, désormais il s’agit de le fermer, pour qu’elle disparaisse totalement », estime Mohamed Zaree, le directeur de l’Institut du Caire pour les études sur les droits de l’homme (CIHRS). Egalement inquiété, cet avocat défend la légalité de ces ONG et de leur financement. « Le gouvernement nous accuse de diffamer l’Egypte en dénonçant publiquement ces violations, poursuit-il. On essaie de leur dire que ces dénonciations servent à la stabilité de l’Egypte, mais nous ne sommes pas entendus. C’est l’appareil sécuritaire qui orchestre sa propre diffamation en procédant à ces violations. » (...)
La position de la France laisse les défenseurs des droits de l’homme perplexes : Paris plaide pour une approche « discrète pour plus d’efficacité » dans le cadre des « relations de confiance » tissées avec son partenaire stratégique, le régime du président Sissi, de crainte de le braquer. (...)
Lors d’une rencontre à l’Elysée, le 12 avril, Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des droits de l’homme, EuroMed Droits et la Ligue des droits de l’homme en ont appelé à la responsabilité du président français. « La situation des droits de l’homme et des libertés publiques en Egypte est une forte préoccupation, assure un diplomate. (...)
François Hollande entend porter un message sur les droits de l’homme à son homologue égyptien. Mais la question de savoir si une liste de cas emblématiques sera présentée à ce dernier, comme l’a fait, en mars, le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, n’est pas encore tranchée. (...)