
Contrairement aux propos du président, certains hôpitaux publics pratiquent déjà des tris de patients. Outre la déprogrammation d’opérations qui contraint les médecins à sélectionner les patients, certaines réanimations se préparent à durcir les critères d’admission. Nous publions l’intégralité d’un document de travail préparatoire officialisant des critères de tri parfois drastiques.
« Aujourd’hui, il n’y a pas de tri [de patients], nous n’avons jamais été confrontés à ça », a déclaré Emmanuel Macron dans un entretien accordé au Parisien. Un déni, une désinformation, un mensonge, un mépris supplémentaire. Les patients, victimes de déprogrammation ou de tri en réanimation, ainsi que le personnel soignant apprécieront ces propos.
Ainsi que le rappelle le chef du Samu et des urgences de l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis), Frédéric Adnet, auprès de Mediapart, « la déprogrammation d’opération est déjà un tri, certes informel, mais c’est un tri puisque, en déprogrammant des patients, vous leur faites perdre des chances ». Plusieurs études ont étayé les conséquences de ces déprogrammations. Publiée dans le British Medical Journal (BMJ), en novembre 2020, l’une d’entre elles, conduite par des oncologues, considère que, pour certains cancers, le report d’une opération de quatre semaines peut entraîner une augmentation de la mortalité de 6 à 8 %. Si ce délai atteint huit semaines, l’augmentation de ce risque de mortalité peut être de 17 %.
Le président de la République fait-il la sourde oreille aux différentes alertes des médecins sur le tri des patients ?
Le 3 janvier, le professeur Grimaldi, professeur émérite, cofondateur du Collectif Inter-Hôpitaux a rappelé, dans l’émission de Mediapart « À l’air libre », que des opérations pour des cancers étaient déjà déprogrammées : « Aujourd’hui, il y a un tri, un tri dont personne ne parle. Dans certaines régions, les réanimations sont saturées. Ce qui fait qu’on a déprogrammé des gens qui ne sont pas opérés qui devraient l’être. »
La veille, le 2 janvier, ce sont plus de 500 médecins de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) qui, dans un appel à la population à se faire vacciner publié par La Provence, ont lancé cet avertissement : « Nous ne pourrons pas soigner d’autres malades qui en ont pourtant besoin. » Les réanimateurs de l’AP-HM et de la région PACA se préparent, comme nous l’avons révélé, à trier les patients.
Depuis plus de deux semaines, ils réfléchissent à durcir les critères de tri des patients à l’entrée des réanimations. Dans un document de travail préparatoire que Mediapart a pu se procurer, ils envisagent, faute de places en réanimation, d’en refuser l’accès à des patients âgés de plus de 65 ans ne présentant aucune pathologie et ayant comme seul signe de fragilité une activité quotidienne limitée à la marche.
Voici dans son intégralité ce document, au titre éloquent : « Proposition de règles de priorisation pour l’accès à la réanimation en cas de pénurie exceptionnelle par dépassement des ressources maximales de réanimation – patients Covid et non-Covid ». (...)
Difficile pour le président de la République d’ignorer cette réalité. En effet, autour de la table de ces réunions de réflexion, siège l’Agence régionale de santé (ARS), chargée de la mise en œuvre de la politique de santé de l’État.
Depuis la première vague, l’ARS fait plancher les réanimateurs et urgentistes sur la question. (...)