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Les dangers de la sécurité
Article mis en ligne le 4 mai 2015

Dans Against Security, Harvey Molotch s’appuie sur différents exemples (métro new‑yorkais, aéroports, La Nouvelle-Orléans post-Katrina) pour montrer comment les appareils de sécurité substituent progressivement au bon sens des machines bureaucratiques aux nombreux effets pervers. Il expose en conclusion plusieurs propositions pour une sécurité plus humaine et altruiste.

Personne n’a pu empêcher le co-pilote Andreas Lubitz de précipiter l’Airbus A320 de la compagnie Germanwings dans sa chute en avril 2015 : la porte blindée isolait en effet celui qui était aux commandes de l’avion. L’Organisation de l’aviation civile internationale avait généralisé cette mesure de sécurité après les attentats du 11 septembre 2001, afin de rendre impossible toute intrusion dans le cockpit pour prévenir les détournements d’avions. Ici, la porte blindée a protégé un co‑pilote suicidaire et lui a permis d’accomplir son geste insensé. Ce drame revêt par ses seules conséquences humaines une dimension exceptionnelle. Sa tragique ironie, pourtant, relève de l’ordinaire de la sécurité.

On s’en convaincra à la lecture d’Against Security de Harley Molotch. Ce livre montre comment les appareils de sécurité neutralisent le bon sens et lui substituent un théâtre politique et des machines bureaucratiques. Against Security critique ces appareils, leurs logiques et leurs effets pervers. S’il fait ainsi écho aux études critiques de sécurité (Peoples et Vaughan-Williams 2010), cet ouvrage les mobilise peu. Contrairement à cette littérature, l’auteur n’interroge pas le mode d’existence des menaces que les appareils de sécurité construisent en prétendant y répondre ; tout au plus Molotch rappelle-t-il que ces dangers sont fréquemment perçus à l’aune d’un miroir déformant et grossissant. Mais, plutôt que de discuter la construction de ces problèmes de sécurité, l’ouvrage préfère avancer des solutions alternatives.

Pour la résilience, contre la sécurité (...)

La sécurité, c’est être capable de vaquer à ses occupations quotidiennes sans craindre que le monde autour de soi ne s’effondre brutalement (p. 3). Qu’on les trouve dérisoires, hors de propos, voire grotesques, les propositions de Molotch visent toutes à renforcer cette capacité. Elles visent à la protéger des mesures que les professionnels de la sécurité et de la politique prennent en son nom, mais qui la détruisent effectivement, pavant ainsi le chemin de catastrophes aux proportions encore plus grandes. Car c’est précisément cette capacité qui permet de « faire avec », d’inventer de l’ad hoc, de composer avec l’incertain des situations de danger. Bref, de faire preuve de ce qu’on appelle maintenant la « résilience » (p. 13‑14) – tant et si bien que Against Security pourrait aussi s’appeler For Resilience. (...)

les capacités d’invention que les acteurs mettent en jeu dans leur quotidien de travail ne disparaissent pas dans les situations de danger exceptionnel ; elles guident, au contraire, des réflexes souvent salvateurs. Toute politique publique de sécurité devrait donc viser à les préserver, ce qui est l’une des principales recommandations à laquelle aboutit Molotch en conclusion de ce chapitre stimulant.
L’inquiétante transformation des aéroports

Le quatrième chapitre prolonge cette réflexion sur la tension entre capacité de résilience des acteurs et les dispositifs bureaucratiques de sécurité en analysant les aéroports. Autrefois symboles de liberté captivant l’imagination populaire, ces lieux ont été transformés en machines de sécurité qui ressemblent à s’y méprendre aux institutions totales décrites par Erving Goffman (1968). Passer les contrôles de sécurité s’apparente aujourd’hui, mutatis mutandis, à entrer dans une prison. Ces mesures incitent les passagers à se conformer aux gestes précis qui sont exigés d’eux, plutôt que d’exercer leurs facultés d’observation sur ce qui se passe autour d’eux. Cette attitude serait pourtant bienvenue d’après l’auteur, dans la mesure où les files d’attentes aux contrôles représentent des cibles molles (soft targets), aisément accessibles pour d’éventuels attentats. (...)

ne étude de l’université de Cornell a montré que ces contrôles de sécurité aux aéroports ont détourné un nombre massif de voyageurs du transport aérien aux États-Unis, surtout dans le corridor nord-est, où la voiture est une alternative plausible à l’avion. Cette étude estime à 2 300 le nombre de tués sur la route qui en a directement résulté pour la seule période 2001‑2002, soit presque l’équivalent du nombre de victimes du 11‑Septembre.
(...)

Pour une sécurité humaine et altruiste

Molotch ramasse en conclusion le cœur de son argument et l’essentiel de ses propositions. Il défend la « décence par défaut ». Quand on ne sait pas quoi faire, mieux vaut opter pour les solutions qui paraissent les plus altruistes et les plus simples. En situation de danger, les êtres humains s’entraident par réflexe. Bien sûr, ces solutions sont disqualifiées par les intérêts des professionnels publics et privés de la sécurité, de même que la logique inhérente au théâtre politique. On leur préfère des mesures plus brutales et autoritaires qui ignorent la complexité et la fragilité des sociétés humaines. Les identités sociales – individuelles et collectives – ne s’accommodent que très mal des grands partages binaires dont les appareils de sécurité sont friands.

Ces derniers tendent, d’ailleurs, à exagérer les menaces dont ils prétendent s’occuper. Les « terroristes » arrêtés et jugés dans les années qui ont suivi le 11‑Septembre ne correspondent jamais aux professionnels de la haine si souvent dépeints par les hommes politiques et les officiels de la sécurité. Ils sont le plus souvent amateurs et maladroits (p. 194‑196), voire manipulés par des provocateurs travaillant eux-mêmes pour les services de sécurité (p. 197 et 213). Pourra-t-on jamais les dissuader d’agir par des mesures toujours plus intrusives ?