
Après le renversement, le 11 avril, du dictateur Omar Al-Bachir, la rue veut mettre la pression sur les militaires afin que le pouvoir soit transmis aux civils.
Pour se retrouver dans la rue avec leurs feuilles A4 tout droit sorties de l’imprimante du bureau, ils n’ont pas eu à aller bien loin. Et ce qu’ils demandent, sur ces feuilles, ne semble pas, non plus, si lointain ou inatteignable. « Tout le pouvoir aux civils, que les militaires s’en aillent, sinon, ce sera la grève générale », ne peut s’empêcher de scander Rasha Okud, une employée de banque qui pourrait être la mère des jeunes qui passent dans la rue à pied ou à moto et reprennent les mots en chœur.
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c’est comme les soirs de victoire au football : tout le monde, en fait, veut en être. Les automobilistes ou les chauffeurs de bus klaxonnent en rythme : « Les civils au pouvoir ! les civils au pouvoir ! »
Dans une rue avoisinante, d’autres employés de bureau sont descendus avec tambour et slogans. Plus loin, au siège d’El Nefeidi, une grosse entreprise de logistique, tout le monde est dehors aussi. Ils se sont fait confectionner des casquettes assorties. Hommes et femmes. Il fait chaud, c’est le ramadan, les RSF plantés à deux pas les regardent de travers. Il en faudrait plus pour les effrayer.
L’un des cadres de la société, Ali Babiker, raconte en rafales sa vie d’avant, son arrestation en 1999 quand il était étudiant, les tortures dont il ne s’est jamais remis, sa vie depuis d’employé sans histoire, mais gardant toujours une infernale peur au ventre, mangé d’angoisse et de cauchemars en songeant aux semaines de torture subies vingt ans plus tôt. (...)
Le Soudan traverse le moment délicat d’un processus politique entamé avec les manifestations (depuis décembre 2018) qui ont conduit, dans une ultime escalade début avril, au renversement d’Omar Al-Bachir. Le général était arrivé au pouvoir en juin 1989. Le 11 avril, il a été renversé par des généraux dans un processus complexe. S’agissait-il d’une tentative pour se débarrasser d’un chef attirant toute la foudre du pays comme un paratonnerre, pour mieux recycler les piliers du régime moins visibles ? Certains de ceux qui ont mené la contestation, du côté des civils, le redoutent et sont déterminés à éviter ce phénomène de récupération. Des mots d’ordres, on ne retient que celui-ci : tout le pouvoir aux civils. (...)
Il est encore possible d’espérer que le Conseil militaire de transition (TMC), qui a techniquement pris le pouvoir le 11 avril, signe un accord avec les représentants des civils, regroupés dans la vaste coalition des Forces pour la liberté et le changement (FCC). (...)
Alors que le pouvoir d’Omar Al-Bachir, de son parti (le NCP) et des organes de sécurité, dans les décennies précédentes, était arrivé à noyauter tous les syndicats, une floraison d’organisations professionnelles a lieu depuis le renversement du dictateur. Mercredi, dans un mouvement soigneusement dosé pour faire monter la tension, la SPA a commencé à rendre publiques des listes d’organisations syndicales prêtes à se joindre à une grève générale, accompagnée de mouvements de désobéissance civile. Seulement, en sous-main, les vieux syndicats proches du pouvoir ont été remis en service. (...)
Des anciens du système occupent toujours des postes à responsabilité. C’est aussi contre cet état de fait que les membres de dizaines d’associations sont descendus dans la rue et sont déterminés à participer à une grève générale, demain, si la SPA en lance l’appel. Bloquer tout le pays est sans doute à la portée de l’organisation. Seulement, le général Mohamed Hamdan Dagolo « Hemetti », chef des RSF mais aussi vice-président du TMC, a averti qu’il prendrait des mesures contre ceux qui tenteraient une telle action. Il a du reste repris, en substance, les menaces proférées en mars par l’ancien pouvoir, en affirmant que les participants seraient licenciés. Cela sonne comme un air connu et comme une menace de violence sous-jacente. Cette menace ne concerne pas seulement les manifestants descendus de leurs bureaux, mais touche à l’essence de ce que les participants de ce grand mouvement, depuis des mois, appellent la révolution.