
Que le gouvernement israélien voudrait interdire · Depuis plusieurs années, les réseaux sociaux sont submergés de vidéos montrant les violences des forces israéliennes contre les Palestiniens.
Face à ce qu’il considère comme autant d’« atteintes à la sûreté de l’État » et autant de tentatives de délégitimer son image, le gouvernement israélien a validé une proposition de loi déposée le 17 juin -2018, qui prévoit jusqu’à dix ans de prison pour toute personne photographiant ou filmant des soldats israéliens. (...)
B’Tselem, centre d’information israélien pour la défense des droits humains dans les territoires occupés, avait lancé dès janvier 2007 le « Projet Caméra », grâce auquel elle avait équipé des dizaines de familles palestiniennes de caméras pour leur permettre de filmer les attaques qu’elles subissaient à l’ombre des regards. L’ONG a également formé les familles à utiliser les caméras, en leur apprenant à cadrer, à suivre l’action ou encore à zoomer sur les visages pour pouvoir identifier les protagonistes. Aujourd’hui, des centaines de familles sont équipées de petites caméras numériques. B’Tselem a comme objectif de faire prendre conscience à la société israélienne ainsi qu’au reste du monde de la violence de son armée et de ses colons. (...)
En Palestine, comme en Égypte ou en Tunisie, les caméras permettront dès lors de construire un autre récit que celui de ces régimes autoritaires ou coloniaux, de faire entendre d’autres voix, dissidentes et contestataires.
LA GUERRE DES IMAGES (...)
Si le succès des vidéos réalisées par Bilal Tamimi a permis au village de gagner en notoriété et d’attirer de nombreux militants de monde entier venus apporter leur soutien aux villageois dans les manifestations ou pour la récolte des olives, cela n’a en revanche pas permis au village de remporter des victoires contre la colonisation. La situation dans les territoires occupés ne s’est pas améliorée pour autant. Et si les vidéos sont parfois utilisées par les familles pour porter plainte, une majorité d’attaques demeurent impunies. (...)
Israël tente en permanence, à travers des campagnes internationales, et notamment à travers la vitrine culturelle, d’imposer la vision d’une nation avant-gardiste, moderne, démocratique, avant-poste de la lutte contre le « terrorisme ». Les vidéos sont une ressource de plus pour abattre et discréditer cette activité d’autopromotion. Mises côte à côte, elles forment un océan de preuves des crimes commis contre les Palestiniens, qu’Israël s’est toujours efforcé de camoufler.
Petit à petit cette présence de caméras lors de leurs opérations dans les territoires occupés a forcé l’armée israélienne à s’adapter. Dans un premier temps, ce fut un bricolage opéré par les soldats sur place. Le port de la cagoule est par exemple devenu de plus en plus fréquent (...)
D’autre part, les caméramans sont devenus leur cible prioritaire lors des opérations sur le terrain : ils tentent parfois d’arracher les caméras, et arme à la main, somment fréquemment les caméramans d’arrêter de filmer.
Les Israéliens ont forgé le terme « Pallywood » — contraction de « Palestine » et « Hollywood » —, très vite repris par l’armée israélienne pour affirmer que les Palestiniens provoquent et mettent en scène de manière endémique des incidents pour nuire à l’image d’Israël. Si l’argumentaire du Pallywood ne résiste pas aux faits, il révèle en revanche l’aveuglement de la société israélienne, prête à tout pour ne pas voir les crimes commis en son nom.
Aujourd’hui le gouvernement israélien franchit un cap dans sa lutte contre les vidéos en voulant faire passer une loi instaurant des peines d’emprisonnement — jusqu’à 10 ans — à l’encontre des personnes filmant des soldats de l’armée israélienne. Pour le porte-parole de B’Tselem, il s’agit d’une proposition de loi « qui s’inscrit dans une série d’initiatives législatives qui visent à réduire au silence et à limiter la capacité des organisations de défense des droits humains et de quiconque qui ose s’opposer à l’occupation à agir ». Cette série d’initiatives s’explique par la dérive de la société israélienne et de son gouvernement vers l’ultranationalisme d’une extrême droite qui opère une surenchère militaire permanente et a normalisé un discours raciste envers les Palestiniens. (...)
Parallèlement un ministère israélien des affaires stratégiques organise la lutte contre la campagne BDS, considérée comme une « menace stratégique ». C’est avec les mêmes termes que le Parlement qualifiait la menace iranienne, ce qui donne une idée de l’ampleur des inquiétudes du gouvernement. Il a ainsi approuvé un plan de 72 millions de dollars pour lutter contre cette même campagne BDS (...)
Les récents rapprochements d’Israël avec des régimes ouvertement racistes et antidémocratiques en disent long sur les dérives de son gouvernement.
En attendant le vote de cette loi, les Palestiniens continuent de s’armer de caméras et de publier les vidéos des exactions de l’armée et des colons. Face à un État sioniste qui travaille de façon obsessionnelle à effacer toute marque, dans l’espace et dans le temps, d’une quelconque existence palestinienne, ces vidéos permettent au contraire d’en témoigner de manière incontestable.