
On apprenait, fin juillet, la décision de la préfecture de Police de Paris de déménager les bouquinistes des quais de Seine pour raisons de sécurité, à l’occasion des Jeux olympiques 2024. Risquer de détruire un certain nombre de ces boîtes vertes caractéristiques, et empêcher les libraires des quais de Seine de profiter d’un afflux de touristes et de la période estivale, l’annonce ne passe pas…
« Avec quoi ces gens-là vont vivre », se demande celui qui fut du métier durant une dizaine d’années, avant d’ouvrir sa librairie à Montparnasse, Hubert Bouccara. Il développe : « Il s’agit pour beaucoup de leur seule source de revenus. Ils n’ont pas de boutiques de repli. Qu’est-ce qui autorise à retirer leur moyen de subsistance ? Comment vont-ils régler leur facture EDF ? Les bouquinistes sont-ils destinés à devenir des SDF ? Tout ça manque d’abord d’humanité ».
Un métier précaire
Camille Goudeau, elle-même bouquiniste, co-fondatrice du festival Paname Bouquine avec Elena Carrera, et auteure d’un roman qui témoigne de son expérience de libraire des quais de Seine, Les chats éraflés, ajoute : « Les bouquinistes sont des commerçants très précaires. Certains sont âgés et pourraient difficilement se remettre d’un mois d’arrêt en juillet-août (Les JO 2024 se tiendront du 26 juillet. au 11 août 2024, sans parler des temps de déménagement et de remise en place). On compte sur la saison estivale pour préparer l’hiver. »
Face à cette décision des autorités, cette dernière se dit « très surprise, en colère et attristée ». De son côté, celui qui fut installé quai Voltaire dans le 7e arrondissement, entre Le pont du Carrousel et Pont royal, se demande : « En connaissant leurs conditions, à vivoter, pourquoi ne pas leur laisser profiter de cette manne touristique ? » La raison de cet ordre de déménagement par la préfecture de police de Paris est claire : garantir la sécurité sur les quais à l’occasion de la cérémonie d’ouverture, qui ne sera pas comme à Londres ou à Tokyo dans un stade olympique, mais sur la Seine, à travers un parcours par bateaux.
La ville frappe fort : c’est la première fois depuis le lancement des Jeux olympiques modernes en 1896 qu’une cérémonie d’ouverture ne se déroule pas dans un stade. (...)
Problématique épineuse
Alors que faire ? La mairie de Paris a proposé de déplacer les boîtes à Bastille lors d’une réunion de concertation le 10 juillet dernier. Hubert Bouccara analyse : « Ils veulent faire une sorte de village des bouquinistes, de grande brocante. Déjà ils ne pourront pas tous les mettre, ensuite ce ne seront pas des boîtes, mais sous des tentes, avec là un risque de pillage. C’est infaisable. » Comme il a été largement rappelé, la catastrophe serait autant financière que matérielle : « Ce ne sont pas des stands que l’on peut délocaliser comme ça », décrit Camille Goudeau.
Face aux dégradations jugées inévitables de certaines boîtes — pour certaines installées depuis plus de 50 ans - lors du transport, la municipalité évoque la possibilité de les rénover, mais aucune garantie n’a pour le moment été donnée dans ce sens : « Et elle va aller où la marchandise ? On va tout mélanger ? », relève Hubert Bouccara.
Tous deux plaident, comme une grande partie des bouquinistes présents lors de la réunion avec la mairie, pour le maintien des boîtes à leur place (...)
Camille Goudeau reprend à son compte, la jugeant « pas trop mauvaise », une seconde proposition de la mairie : laisser les boîtes à leur place, scellées et fermées 7 jours avant et durant les Jeux, et de faire venir le déminage. Reste la problématique de ne pas pouvoir profiter des festivités et leurs retombées économiques, non négligeables. Contactée par ActuaLitté, la mairie n’a pas encore répondu à nos sollicitations au sujet de sa position actuelle. Rappelons que la décision finale appartient à la préfecture de police, également sollicitée par ActuaLitté.
Les maires d’arrondissement non conviés
La maire du 5e arrondissement de Paris, Florence Berthout, qui a déposé la candidature des bouquinistes au patrimoine immatériel de l’Unesco, accompagnée du président de l’Association culturelle des Bouquinistes de Paris Jérôme Callais, regrette que la mairie n’ait pas convié à cette réunion de concertation du 10 juillet les mairies d’arrondissement concernées.
Cette dernière demandera à la rentrée une réunion tripartite entre les maires, les représentants des libraires des quais de Seine, et la préfecture et la mairie de Paris. Son objectif est de proposer une solution qui garantit à la fois la sécurité, tout en maintenant cette activité « qui fait notre fierté, une singularité multiséculaire de la capitale ».
Pour le moment, l’élue penche pour une fermeture des boîtes durant la soirée d’ouverture, avec des mesures de sûreté appropriées, puis de faire participer les bouquinistes aux festivités. (...)
« C’était une occasion rêvée de présenter le métier, nos ouvrages, notre culture, ce travail collectif » (...)
« Hélas, comme cela arrive très souvent, on sépare rigoureuse ce qui qui relève du domaine sportif et du culturel », confirme Florence Berthout, qui se demande par ailleurs si le ministère de la Culture a été convié à la réunion de la mairie de Paris de juillet dernier. (...)
Des actions à venir ?
Celui qui possède toujours beaucoup d’amis dans le métier intrinsèquement lié à la capitale, a lancé le 26 juillet dernier, une pétition pour les soutenir, s’engageant malgré d’importants soucis de santé qui l’ont récemment forcé à passer un mois entier à l’hôpital.
Une initiative qui révèle l’attachement des Parisiens et des Français à cette particularité hexagonale : « Les commentaires sont unanimes, on n’imagine pas Paris sans les bouquinistes. Il y a même des signataires des États-Unis et d’Israël », s’étonne Hubert Bouccara. » La pétition réunit actuellement plus de 53.000 signataires. Les bouquinistes sont déjà inscrits au patrimoine culturel immatériel français depuis 2019. (...)